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INTERVIEW
Une ville qui doit son nom à une guerre
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Malakoff a un passé lié à la guerre de Crimée. Malakoffiot de longue date Michel Rousseau, s’est intéressé à cette guerre à laquelle notre ville doit son nom. Près de 160 ans après la prise de la tour de Malakoff à Sébastopol, en Crimée, il nous ouvre un morceau d’une histoire souvent occultée, dans une interview donné au journal municipal Malakoff infos. Extraits.

 

Malakoff-infos : Qu’est-ce qui vous a amené à vous intéresser
à l’histoire de votre commune ?
 
Michel Rousseau : Enfant de Malakoff, je trouvais ça exotique d’habiter une ville dont le nom sonnait différemment des villes alentour. Je m’amusais quand mes camarades provinciaux, incrédules, me faisaient répéter ce nom qui sentait la steppe. Au fil des ans, j’ai découvert les pièces du puzzle : l’existence d’une guerre lointaine et oubliée… en Crimée ; la prise de la “tour de Malakoff” à Sébastopol, déterminante pour l’issue de cet te guerre ;la construction, en 1856, aux portes de Paris, de la tour de Malakoff et de son parc de loisirs par le promoteur Chauvelot ; son succès, puisque des milliers de Parisiens venaient s’y promener,
danser, faire la fête. Mais il restait un mystère : Malakoff semblait sortir du néant pour y replonger aussitôt.
 
J’en étais là, lorsque internet m’a enlevé mes illusions sur l’originalité du nom de ma ville. Cette appellation avait, en fait, beaucoup servi. J’ai dû me rendre à l’évidence. Dans le passé, beaucoup de monde avait trouvé malin de s’appeler Malakoff : roses, gâteaux, chansons, fromages, galeries, restaurants, champagnes, tours, ducs et villes. Paradoxalement, je tenais la pièce qui me manquait pour comprendre : tous ces Malakoff à travers le mon de étaient les traces fossiles d’une énorme vague médiatique qui s’était retirée en les laissant sur le sable.
 
M.-i. : Pourquoi la guerre de Crimée a-t-elle eu cet écho,
alors qu’elle est aujourd’hui quasiment oubliée ?
 
M. R. : Elle est sans doute la première guerre médiatisée. Les moyens d’information récents le permettent. Un câble télégraphique passe au fond de la mer Noire et relie Paris au théâtre des opérations ; la photo existe depuis quelques années ; la diffusion des journaux progresse constamment. Avant que la guerre ne commence, la presse prépare l’opinion par des campagnes sur “la garde des lieux saints”.Au lendemain de chaque victoire, la gravure permet de l’illustrer. Dans le journal L’Illustration, les gravures font parfois une double page ! Des peintres comme Du rand Brager ou Horace Vern et se rendent sur place.
 
En octobre 1855, le Gouvernement français envoie le colonel et peintre J. C. Langlois pour réunir les photographies nécessaires à un panorama célébrant la campagne de Crimée. La tour Malakoff est le centre des prises de vues. Le panorama est ensuite peint et ex posé, entre 1860 et 1865, dans une rotonde au rond- point des Champs- Elysées.
De nombreux artistes – les peintres Adolphe Yvon, Isidore Pils, Protais, Dumaresq, Bellange, Duvaux, Fontaine, Giraud, Jumel de Noireterre, Wachsmuth et Dawant ; les photographes Méhédin, Robertson… célèbrent faits d’armes et victoires. Les journaux sont remplis de la reproduction de leurs oeuvres. La Comtesse de Ségur va chercher son gén éral Dourakine à la Guerre de Crimée ! Les ex positions universelles de 1855 et 1867, qui drainent des millions de visiteurs, diffusent en France et à travers le monde cet te propagande. Dans ce contexte, Chauvelot, en construisant sa tour, ne fait que participer à la vague médiatique initiée par le régime de Napoléon III.
 
M.-i. : Quelles sont les autres caractéristiques de cette guerre ?
 
M. R. : C’est un conflit quasiment mondial, puisqu’il oppose la Russie à une coalition unissant France, Royaume-Uni, royaume de Piémont- Sardaigne (noyau de l’unité italienne) et Empire ottoman(Turquie). Près de 800 000 soldats – plus d’un million sel on les sources russes – y trouvent la mort et , parmi eux, 95 000 Français. Globalement, cela représente la moitié des effectifs engagés. De ce point de vue, c’est une guerre aussi meurtrière que celle de 1914. De plus, à l’hécatombe par les armes, s’ajoute celle de plusieurs épidémies de choléra et de typhus. C’est la première guerre moderne .On y utilise l’obus explosif et le cuirassé. Des centaines de milliers d’hommes sont “projetés” sur des milliers de kilomètres. Quant à la météorologie, elle doit son invention à des désastres navals subis pendant le conflit.
 
M.-i. : Après un tel retentissement, comment expliquer
le silence et l’oubli ?
M. R. : L’euphorie n’a duré que 15 ans. En1870, la douche froide de la défaite sur le sol national, f ace aux Prussiens, dans une guerre d’une intensité meurtrière aussi grande, explique l’oubli dans lequel on a désormais préféré tenir la guerre de Crimée. L’évoquer, c’était rappeler la manipulation médiatique à laquelle elle avait donné lieu, en plein milieu du
désastre auquel elle avait abouti. La tour de Malakoff, dynamitée en novembre 1870, ne s’en est pas remise. Ce silence s’est poursuivi parce que, sous l’image d’Epinal, l’expérience de la guerre de Crimée montrait que les guerres à venir pouvaient faire plus d’un million de morts…
 
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Extrait de l’article paru dans le journal municipal « Malakoff-infos N° 194 Septembre 2005

 


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