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TEMOIGNAGE
Ma vie à Malakoff pendant la guerre de 14-18
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Madame Jacqueline Bizet à eu la chance de retrouver les souvenirs de sa grand-mère écrits à la main dans une série de cahiers d’écolier. Elle y relate de nombreux moments de sa vie à Malakoff ou elle résida de nombreuses années rue Danicourt. Nous retenons ici quelques extraits du témoignage concernant la période de 1914-1918 où elle avait dix ans, années durant lesquelles la vie fut très difficile pour la population de Malakoff.

« ...Eté 1914, j’avais dix ans, c’étaient les vacances, et comme chaque année nous allions partir à la campagne à la Ferté-Macé, mais les événements en décidèrent autrement. Hélas, ce fut la guerre. Le 4 août, l’Allemagne déclarait la guerre à la France. Mon père employé à l’octroi devait rejoindre son unité : le 26° régiment d’infanterie à Mayenne. Il prit le train à la gare de Vanves-Malakoff. L’image de son départ est restée gravée dans ma mémoire, nous pleurions, ma soeur et moi, car jamais papa ne nous avait quittées, et bien que petite, je comprenais que ce moment était très grave.

Quelques jours plus tard, maman reçut une dépêche lui apprenant que le régiment de Papa était à Orly pour quelques jours. Avec ma tante Ernestine, nous avons pris un taxi et nous avons pu revoir mon père. Il avait quitté ses vêtements civils et portait un pantalon rouge garance, une veste et un képi. Comme il avait couché dans une grange, il avait pris froid et avait une extinction de voix. Il nous embrassa très fort. C’était le 15 août 1914...

Les Allemands avaient envahi la Belgique. Les départs des soldats se succédaient. Le régiment de mon père fut envoyé vers la frontière belge. Sans nouvelles de lui, ma mère pleurait souvent car celles venant du front étaient désastreuses : le nord de la France était envahi.

Enfin, le 12 octobre, une lettre de mon père arriva de Hal en Belgique : « Prisonnier, pas blessé ». Quel soulagement ! Bien sûr la guerre n’était pas finie, Papa n’était pas là, mais nous le savions loin du front. Et ce fut une longue période de plus de quatre ans qui commença. Après avoir été fait prisonnier le 26 août 1914 à Ramillies près de Douai, mon père fut envoyé dans des camps en Allemagne, en Westphalie puis dans le Anhalt et en Saxe . Il changea quatre ou cinq fois de camp...

Au début de la guerre en 1914, les Allemands envoyaient des avions de reconnaissance sur Paris. Le premier qui survola Malakoff fit sortir tout le monde dans la rue. A cette époque, les avions ne volaient pas bien haut, et nous en avions rarement vu avant la guerre. Il avait la forme d’un oiseau. Et puis, des avions de bombardement survolèrent Paris la nuit, les alertes étaient annoncées par une sonnerie de clairon qui nous réveillait. J’avais très peur et je devenais très nerveuse. Je ne sais pas quels objectifs étaient visés, des usines sans doute, peut-être les voies de chemins de fer..

Et pendant tous ces mois de guerre, la vie continua malgré tout. Nous avions des cartes d’alimentation, car certaines denrées étaient rationnées. Aussi ce n’était pas toujours facile de constituer les colis envoyés à mon père. L’épicière, chez qui nous nous servions avait la gentillesse de nous fournir, en cachette bien sûr, sucre, pâtes, chocolat, et bien souvent, c’était moi qui, en prenant, à midi, le bidon de lait que j’avais laissé le matin, ramenais de quoi faire un colis.

Les hivers, pendant cette période de guerre, ont été extrêmement froids. En 1916, la Seine charriait des glaçons. Le chauffage était presque inexistant, rationné avec des cartes de charbon. Ma mère nous avait confectionné des sous-vêtements, genre de plastrons en tissu épais qui étaient doublés et à l’intérieur, elle y avait mis des feuilles de papier journal, ça tenait bien chaud. Le midi, pour chauffer un peu la cuisine pendant le déjeuner, ma mère faisait chauffer une brique sur le gaz. Comme la cuisine n’était pas très grande, nous n’avions pas froid. Je me souviens qu’à l’école, l’encre gelait dans les encriers et que j’ai eu des engelures aux mains. Il devait aussi y avoir des coupures ou des pannes d’électricité, car j’ai le souvenir d’avoir fait mes devoirs, éclairée par une lampe à pétrole.

Bombardements de Paris et de Malakoff

... Le bombardement de Paris par la grosse « Bertha » commença le 23 mars 1918, année de ma communion solennelle. La Bertha tirait aveuglément, sans objectif. C’est ainsi que le Vendredi-Saint après-midi, un obus tomba sur l’église Saint-Gervais à Paris, il y eut 91 tués et de nombreux blessés.

Lors du premier tir de la Bertha, nous étions en classe. Les maîtresses firent évacuer l’école et nous nous réfugiâmes dans une cave d’un immeuble voisin. Nous étions éclairées par une bougie. Inutile de dire que nous étions pratiquement dans le noir complet. C’était lugubre ! Et nous avions peur. Des mamans vinrent chercher leurs fillettes. Ma mère m’emmena à la maison avant d’aller chercher ma soeur qui était à l’école à Paris dans le 14ème. Je suis allée à l’usine Clacquesin où le directeur, Monsieur. Hantz, m’accueillit. Ayant perdu une main à la guerre, il était démobilisé. Ma mère et ma soeur revinrent me chercher.

Sur le moment, personne ne savait que c’était un canon qui tirait sur Paris. C’était beaucoup plus pénible qu’une alerte pour laquelle on était prévenu du début et de la fin du bombardement, tandis que la Bertha tirait à n’importe quel moment et sans prévenir. A Malakoff, un obus tomba sur le jeu de boules d’un café qui se trouvait à l’angle de la rue Gambetta et Victor Hugo. Il y eut 17 morts....

Vers la fin mai 1918, on reprenait espoir d’une fin prochaine de la guerre. C’est à ce moment qu’une affreuse épidémie, appelée « Grippe Espagnole », fit son apparition. On rencontrait des gens le matin et à midi on apprenait qu’ils étaient morts ! C’était foudroyant. Dans le monde, il y eut un million de morts. Alors ma mère décida de nous faire partir, ma soeur et moi, avec notre grand-mère à la Ferté-Macé.

Fin de la guerre et retour des soldats

Quand l’Armistice fut signé le 11 novembre, nous étions en classe. Ce fut une joie indescriptible pour celles qui, comme moi, eurent le bonheur de voir, plus tard, revenir leur père. Mais hélas, il y avait aussi le chagrin de celles qui ne les reverraient plus ! A 11 heures, l’institutrice, Mademoiselle Flusin, nous fit mettre debout dans l’allée et nous observâmes une ou plusieurs minutes de silence.

Mais si l’Armistice était signé, nos soldats mirent du temps pour réintégrer leur foyer. Mon père ne revint qu’en janvier 1919, le rapatriement de tant d’hommes dispersés à travers l’Europe posait d’énormes problèmes. Les routes étaient saccagées, ainsi que le réseau ferroviaire, les courriers n’arrivaient plus. Ce fut pour nous une longue attente de deux mois !

Un soir, nous étions revenues de l’école ma soeur et moi et maman n’était pas encore rentrée de son travail, quand notre boulangère, Madame Zravouillon vint nous prévenir que mon père allait arriver. Aussitôt ma soeur courut à la maison Clacquesin prévenir maman. J’étais donc seule à la maison, quand on sonna. J’allais ouvrir : c’était mon père ! Je ne le reconnus pas car il était habillé en bleu horizon alors qu’il était habillé en rouge garance lorsque nous l’avions vu le 15 août 1914 à Orly. Il avait une barbe et... je ne l’avais pas vu depuis plus de 4 ans et demi. Je n’avais que 7 ans à son départ. Lorsque maman et ma soeur arrivèrent ce fut la joie ! Nous étions enfin réunis, nous ne serions plus séparés, la guerre était finie !

Quand mon père revint, j’allais avoir 12 ans et ma soeur bientôt 16 ans. Mon enfance était finie, mon adolescence commençait. Ma soeur était déjà une jeune fille, et mon père ne nous avait pas vues grandir ! Il fallu un long temps pour se réhabituer à la vie civile, sa captivité s’était toujours passée dans des camps, mais privé de liberté. Et puis la vie reprit ses droits.... »

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Extraits diffusé avec l’aimable autorisation de Madame Jacqueline Bizet


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