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UN BRAVE DE MALAKOFF
Eloge posthume du Poilu Emery
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Les familles qui ont perdu un soldat au front ont souvent reçu une lettre de la part d’un officier proche de la victime. Voici la lettre du Capitaine qui avait sous ses ordres le brigadier Bernard François Emery né le 25 août 1892 et tué le jour de son anniversaire le 25 août 1914 à 22 ans et dont les parents habitaient au 29 rue du Marché à Malakoff. Lorsque sa batterie se trouvant dans une situation critique, il s’était joint aux servants de sa pièce dont il commandait les attelages lors de la bataille des frontières d’août 1914. Le 31 mai 1915, il fut cité à l’ordre de sa division pour sa « vaillante conduite ».

« Vous avez dû être hélas averti par les voies réglementaires, qu’il ne m’appartenait pas de devancer, du terrible malheur qui vous a atteint, je me fais un devoir de profiter d’un moment de liberté pour venir vous apporter en même temps que l’assurance de ma bien vive sympathie quelques détails sur la fin de votre fils.

Je puis vous dire, Monsieur, en toute sincérité, que parmi les pertes que j’ai eues hélas à déplorer depuis le commencement de cette terrible guerre, dans ma batterie, nulle ne m’a été plus sensible.

Votre fils m’avait demandé instamment au moment du départ à suivre ses camarades bien qu’il fut empêché de monter à cheval depuis quelques temps. Je n’avais d’ailleurs déféré à son désir qu’après avis du médecin, et il me paraissait pas souffrir particulièrement des premières fatigues souvent très grandes cependant, de la campagne. Je l’appréciais et tous l’appréciaient pour son intelligence et son bon vouloir ; il était de ceux auxquels j’eusse songé des premiers pour en faire des sous-officiers. Hélas pour lui, le ciel en avait décidé autrement et la mort d’un brave lui était réservée dans l’un de nos premiers combats.

C’est près de Marville, le 25 août. Ma batterie avait été envoyée la veille au soir avec un détachement d’infanterie dans la direction des lignes Prussiennes. Au matin, sous le coup d’une attaque par des forces très supérieures, nous recevons l’ordre de nous replier sur Marville. Opération délicate et périlleuse où j’ai hélas payé la fierté de la belle tenue de toute ma troupe, du sang le meilleur répandu.

Nous avions été obligés de mettre en batterie pour nous dégager d’assaillants ennemis débouchant à quelques centaines de mètres, et nous faisions sur eux un feu furieux. Votre fils était à son poste, servant sa pièce avec entrain et sang-froid. Je me trouvais à proximité lorsqu’une balle l’a atteint à la tête. Je ne crois pas qu’il ait souffert.

Au passage, je me suis penché près de lui et l’ai embrassé au front pour lui donner l’adieu de tous ses camarades. Et ceux-ci redoublèrent d’ardeur comme pour le venger. Je n’oublierai jamais ce moment. Bien d’autres sont tombés, mais pour moi, la fin de votre fils symbolise la belle mort, la mort du soldat frappé à son poste dans l’activité de la lutte, fin sublime dans sa simplicité et qui renferme en elle toutes les meilleures consolations qu’il est possible d’envier en face d’un tel malheur.

Vous pensez, Monsieur, quelles sont les préoccupations du commandement dans de telles circonstances. Pendant les quelques secondes consacrées à votre pauvre enfant, j’y ai mis tout mon coeur. Le devoir m’appelait ensuite ailleurs. J’avais la charge de sauver ma batterie le plus honorablement de cette périlleuse situation. Lorsque nous pûmes songer à regagner nos lignes, les blessés seuls purent être enlevés.

Le corps de votre pauvre fils a dû ensuite être inhumé non loin de l’endroit où il est tombé. C’était près d’un calvaire au débouché du hameau de Ham-les-Saint-Jean vers Marville. L’armée française a dû le soir se replier vers la Meuse ; je ne puis à mon grand regret vous donner d’autres détails.

Mais, si Dieu veut que je revienne moi-même de cette guerre, je me tiendrai personnellement à votre disposition non seulement pour vous fournir les indications, mais encore pour vous conduire à l’endroit où votre enfant est tombé en brave. C’est un endroit que je retrouverais les yeux fermés tant que je vivrai.

Croyez en attendant, monsieur, à la part sincère que je prends à votre affliction. Je ne pense pas sans la plus profonde émotion à la douleur de la pauvre mère, lorsque lui est parvenue la fatale nouvelle. Veuillez le lui dire et l’assurer de ma bien respectueuse sympathie et partagez avec elle, l’expression de mes sentiments de vive condoléance ».

J.J Capitaine

Infos sur la bataille de Marville

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Le nom du Brigadier Bernard-François Emery figure sur le Monument aux Morts du cimetière de Malakoff.

Lettre publiée dans le Journal Vanves-Malakoff-Montrouge du 31 juillet 1915.


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