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MEMOIRES FAMILIALES 14/18
"Mon père nettoyeur des tranchées"
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Emile Narmois, mobilisé à 32 ans, de 1914 à 1919, a connu la dure expérience des unités spécialisées dans le nettoyage des tranchées. Hélène sa fille raconte quelques souvenirs évoqués par son père...pour garder une trace de cette terrible période.

« Mes parents se sont mariés en 1910. Papa était menuisier puis imprimeur. Mon père (1) a été mobilisé durant la première guerre mondiale au cours de laquelle il a reçu un éclat d’obus dans la cuisse. Lorsqu’il a appris la fin de la guerre, il était avec d’autres soldats à côté d’un champ de mines d’où ils se sont sauvés en vitesse.

Tous avaient un mépris de la mort, ils avaient appris à vivre avec elle. Ma soeur et moi avons été bercées dans notre enfance et adolescence par les récits de notre père. Il nous en parlait souvent, simplement, librement, lorsque nous étions à table. C’était quelqu’un de très gai. Il chantait, surtout des airs d’opérette, jouait de la mandoline. Même quand il nous parlait de ce qu’il avait vécu, il n’était pas triste.

Il nous racontait souvent l’histoire de ce jeune soldat français coincé entre deux tranchées et ne pouvant être secouru. Celui-ci avait appelé sa mère toute la nuit, mais au matin, ils ne l’entendaient plus... Mon père était nettoyeur de tranchées. Nous étions petites et nous pensions naïvement avec ma soeur qu’il était chargé du ménage ! (2)

Quand mon père arrivait en permission dans le 14e arrondissement de Paris où ma mère vivait avec sa famille, ma grand-mère s’empressait de mettre sur le palier une grande bassine en zinc remplie d’eau. Là, il se déshabillait et y mettait capote, pantalon et chemise pour noyer la vermine, et il rentrait précipitamment dans le logement.

Un jour, sa permission terminée, mon père avec tout son barda sur le dos est arrivé à la gare de l’est pour prendre un train du soir. Il aperçoit un sergent de ville (policier/gendarme) et hésite à faire demi-tour car il n’était pas en règle. En effet, il était resté auprès de ma mère qui avait attrapé la grippe espagnole afin d’avoir l’avis du médecin. Son départ, qui devait avoir lieu le matin, avait donc été retardé. Comptant sur l’indulgence et la compréhension du sergent de ville, il n’a pas fait demi-tour mais a été arrêté et conduit au commissariat malgré ses protestations. Il voulait prendre son train car il savait qu’un copain attendait avec impatience son retour pour pouvoir partir à son tour en "perm".

Il a été mis en cellule, on lui a retiré sa ceinture, les lacets de ses brodequins, sa montre et tous ses papiers. Il y a passé la nuit et n’a été relâché, très humilié, que le lendemain matin. Au retour il n’a pas eu de punition car le combat l’attendait et chaque homme comptait mais il a eu la haine contre ce flic. Ce "planqué" comme il l’appelait. Je crois qu’il avait encore de la haine des années plus tard lorsqu’il nous racontait cette histoire.

Cette période de l’histoire m’intéresse, je lis beaucoup d’ouvrages sur ce sujet. Cela me fait repenser à ce que nous racontait notre père. Il nous a transmis beaucoup de choses, je souhaite à mon tour les transmettre à mes proches (3). J’en parle à mes enfants qui sont attentifs à l’histoire de la famille. J’ai aussi écrit ce que m’a raconté mon père pour garder une trace.... »

Madame Hélène Bouloy à l’exposition "Mémoires de Poilus" à l’Hôtel de Ville de Malakoff en 2014

(1) Témoignage de madame Hélène Bouloy, Malakofiotte, fille d’Emile Marnois (1882-1952), mobilisé en 1914 au sein du 80erégiment d’infanterie jusqu’en 1919.

(2) Nettoyeur de tranchées : des unités spécialisées avaient pour mission la mise hors d’état de nuire des ennemis restés dans les tranchées en deçà de la progression des troupes d’assaut. Cette mission était très importante puisqu’elle consistait à s’assurer qu’on ne laissait pas d’ennemis dans son dos. Ces opérations se faisaient le plus souvent à l’arme de poing, à la grenade ou plus rarement au couteau.

(3) Témoignage recueilli dans le cadre de l’exposition « Mémoires de poilus » organisée par la Commission municipale « Mémoire et patrimoine » en novembre 2014 avec le concours du Service communication de la Mairie de Malakoff. Travail coordonné par Cécile Lousse.


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