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MEMOIRES FAMILIALES 14/18
« Mes grands pères ont fait la Campagne d’Orient »
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Les deux grands pères de Hervé Meraville ont participé à la Campagne d’Orient (1915-1918) qui fut elle aussi terrible pour les soldats et pour les populations. Des années d’une vie qui ne leur appartenait plus. L’absence de transmission directe a été un vrai regret pour comprendre ce qu’il ont vécu.

« J’ai connu mes deux grands pères, mais j’étais encore jeune quand mon grand-père maternel est décédé. Ce que je sais sur sa participation à la guerre, je le tiens de ma mère même s’il lui en a finalement peu parlé. Plus que les explosions d’obus, le plus dur pour lui était de supporter la boue dans les tranchées.

Mon grand-père a été mobilisé de 1914 à 1919 : il est allé au front et a pris part à la campagne d’Orient. Il était plus bavard sur les pays traversés lors de la campagne d’Orient (2). Il évoquait les populations démunies de Bulgarie ou de Roumanie qui suivaient les soldats pour avoir de quoi manger. Il n’y avait plus de cheveux sur une partie de son crane suite à une blessure causée par un obus. J’ai le souvenir de l’avoir entendu loué et encensé Clémenceau, le "Tigre", qui était pour lui le grand homme de la Première Guerre mondiale. Il lui vouait une grande admiration.J’ai davantage parlé de la guerre avec mon grand-père paternel. Il avait souvent été envoyé au front : fait prisonnier en 1914, libéré en 1917, il a ensuite réalisé la campagne d’Orient. Suite à une blessure, il lui manquait un doigt. C’est en tout cas ce qu’il m’avait dit. J’ai appris ensuite par un de ses voisins qu’il avait travaillé dans une mine de sel lorsqu’il était prisonnier en Allemagne. Pour quitter cet endroit et ces rudes conditions de vie, il s’était volontairement mutilé un doigt en le laissant entre deux wagons.

Il ne parlait pas trop de la guerre ni des combats mais des pays qu’il avait traversés. Il parlait surtout de la pauvreté qu’il y avait vue. La guerre a été pour lui une ouverture sur le monde : elle lui a permis de voir du pays sinon il n’aurait pas quitté la France. Il m’a raconté une anecdote lorsqu’il était prisonnier en compagnie de soldats russes. Ceux-ci demandaient aux soldats africains de l’armée française de remonter leurs manches ou leurs bas de pantalon pour voir s’ils étaient noirs sur tout le corps.

Quand j’ai eu une vingtaine d’années, j’ai réalisé un tour d’Europe. Il avait été heureux de discuter avec moi des pays qu’il avait vus. Il avait gardé des habitudes de cette époque, il buvait son café à la Turque. Je me souviens d’ailleurs qu’il y avait autant de grains que de jus !

Mon grand-père maternel a tenu un carnet durant la guerre. Ma mère me l’a souvent montré, elle le garde précieusement. J’ai retrouvé la carte et le texte dans la maison de mon grand-père paternel ainsi que des photos de son camp de prisonniers. Ces différents documents me font un peu toucher du doigt ce qu’a été leur vie à ce moment là pendant un long moment. Ils ont passé cinq années de leur jeunesse à la guerre. Cinq années d’une vie qui ne leur appartenait pas. En dépit des documents, cela me semble lointain. C’est l’histoire de ma famille, une chose qui m’intéresse, mais je ne ressens pas cet affect comme ce que j’ai pu apprendre de mes parents lors de la Seconde Guerre mondiale. Il n’y a pas eu de transmission directe, de témoignage oral. Il n’y a pas d’affect car ce sont des documents. C’est sans doute mon principal regret... ».

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(1) Hervé Meraville, Malakoffiot, petit-fils d’Edmond Château, grand-père maternel (1887-1962) et de Roger Meraville, grand-père paternel (1896-1987).


 (2) Campagne d’Orient : Loin d’avoir été une expédition exotique les soldats engagés dans le Front d’Orient ont connu des souffrances terribles, les maladies et le climat défavorable, s’ajoutant aux combats intensifs. La cessation des hostilités avec la Bulgarie puis la Turquie précipiteront les armistices avec l’Autriche-Hongrie puis celle de l’Allemagne. De cette guerre lointaine on se rappelle notamment la bataille des Dardanelles.


(3) Témoignage recueilli par Stéphane Laforge dans le cadre de l’exposition « Mémoires de poilus » organisée par la Commission municipale « Mémoire et patrimoine » en novembre 2014 avec le concours du Service communication de la Mairie de Malakoff. Travail coordonné par Cécile Lousse et Florence Giacomelli.


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