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TEMOIGNAGE LITTERAIRE
Emile Zola décrit des "coins inquiétants"
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En 1883, le romancier populaire Emile Zola publiait une nouvelle intitulée « Le capitaine Burle, dans laquelle, sur quelques pages il décrit notamment la banlieue proche de Paris, celle qui s’étale derrière les fortifications. Il parle de « certains coins inquiétants » comme la Plaine de Montrouge, là ou s’est bâti par la suite le secteur historique de la ville de Malakoff. Bonne page extraite de ce livre.

 

« …Les Parisiens montrent aujourd’hui un goût immodéré pour la campagne. À mesure que Paris s’est agrandi, les arbres ont reculé, et les habitants, sevrés de verdure, ont vécu dans le continuel rêve de posséder, quelque part, un bout de champ à eux… Le dimanche, la population, qui étouffe, en est réduite à faire plusieurs kilomètres à pied, pour aller voir la campagne, du haut des fortifications.
 
Cette promenade aux fortifications est la promenade classique du peuple ouvrier et des petits bourgeois. Je la trouve attendrissante, car les Parisiens ne sauraient donner une preuve plus grande de leur passion malheureuse pour l’herbe et les vastes horizons.
 
Ils ont suivi les rues encombrées, ils arrivent éreintés et suants, dans le flot de poussière que leurs pieds soulèvent ; et ils s’assoient en famille sur le gazon brûlé du talus, en plein soleil, parfois à l’ombre grêle d’un arbre souffreteux, rongé de chenilles. Derrière eux, Paris gronde, écrasé sous la chaleur de juillet ; le chemin de fer de ceinture siffle furieusement, tandis que, dans les terrains vagues, des industries louches empoisonnent l’air. Devant eux, s’étend la zone militaire, nue, déserte, blanche de gravats, à peine égayée de loin en loin par un cabaret en planches. Des usines dressent leurs hautes cheminées de briques, qui coupent le paysage et le salissent de longs panaches de fumée noire.
 
Mais, qu’importe ! par delà les cheminées, par delà les terrains dévastés, les braves gens aperçoivent les coteaux lointains, des prés qui font des taches vertes, grandes comme des nappes, des arbres nains qui ressemblent aux arbres en papier frisé des ménageries d’enfant ; et cela leur suffit, ils sont enchantés, ils regardent la nature, à deux ou trois lieues. Les hommes retirent leurs vestes, les femmes se couchent sur leurs mouchoirs étalés ; tous restent là jusqu’au soir, à s’emplir la poitrine du vent qui a passé sur les bois. Puis, quand ils rentrent dans la fournaise des rues, ils disent sans rire : « Nous revenons de la campagne. »
 

Je ne connais rien de si laid ni de plus sinistre que cette première zone entourant Paris. Toute grande ville se fait ainsi une ceinture de ruines. À mesure que les pavés avancent, la campagne recule, et il y a, entre les rues qui finissent et l’herbe qui commence, une région ravagée, une nature massacrée dont les quartiers nouveaux n’ont pas encore caché les plaies. Ce sont des tas de décombres, des trous à fumier où des tombereaux vident des immondices, des clôtures à demi arrachées, des carrés de jardins maraîchers dont les légumes poussent dans les eaux d’égout, des constructions branlantes, faites de terre et de planches, qu’un coup de pioche enfoncerait. Paris semble ainsi jeter continuellement son écume à ses bords.

On trouve là toute la saleté et tout le crime de la grande ville. L’ordure vient s’y mûrir au soleil. La misère y apporte sa vermine. Quelques beaux arbres restent debout, comme des dieux tranquilles et forts, oubliés dans cette ébauche monstrueuse de cité qui s’indique.
 
Certains coins sont surtout inquiétants. Je citerai la plaine de Montrouge, d’Arcueil à Vanves. Là s’ouvrent d’anciennes carrières, qui ont bouleversé le sol ; et, au-dessus de la plaine nue, de treuils, des roues immenses se dressent sur l’horizon, avec des profils de gibets et de guillotines. Le sol est crayeux, la poussière a mangé l’herbe, on suit des routes défoncées, creusées d’ornières profondes, au milieu de précipices que les eaux de pluie changent en mares saumâtres. Je ne connais pas un horizon plus désolé, d’une mélancolie plus désespérée, à l’heure où le soleil se couche, en allongeant les ombres grêles des grands treuils…"
 
 


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