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ANDRE ESPI
De Casablanca à Paris avec la 2ème DB de Leclerc
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André Espi, Malakoffiot de longue date, ancien enseignant au lycée Louis Girard de Malakoff fut l’un de ceux qui ont participé à un épisode décisif de la seconde guerre mondiale : le débarquement en Normandie de la Division Leclerc et la Libération de Paris et de la région parisienne en 1944. Engagé durant de nombreuses années dans la transmission de la « Mémoire patriotique et combattante », André Espi témoignait régulièrement dans les établissements scolaires notamment dans les collèges de Malakoff. Son intervention comprenait toujours une mise en situation pédagogique par l’exposition d’un diorama avec des miniatures de véhicules militaires.

« Ayant 20 ans en 1944 et habitant l’Algérie, j’aurais dû être appelé pour faire mon service militaire avec la classe 44. Le gouvernement provisoire du Général de Gaulle prit la décision d’avancer l’appel du contingent de la France libre d’une année. Ainsi, en octobre 1943, à 19 ans, je fus appelé à faire mes classes à Oran dans le quartier d’Eckmuhl. Les deux mois se sont vite passés après lesquels j’ai été affecté à Mascara. Je me suis inscrit au peloton des sous-officiers où l’instruction militaire était plus intense. Dans ce stage des sous-officiers nous avions un sous-lieutenant sortant de Saint-Cyr très sympathique et j’avais beaucoup de plaisir et un vrai enthousiasme d’apprendre avec lui quantité de choses pour devenir un bon soldat. Durant deux mois ce fut un bon stage, mais qui ne déboucha sur aucun rapport de stage et aucun grade ne fut proposé à notre promotion.

A la fin de cette instruction militaire on nous remis une feuille de route et avec tout notre groupe nous avons pris la direction de la forêt de Témara au Maroc près de Rabat-Salé. C’est là que se rassemblait la Deuxième Division Blindée du Général Leclerc.

Arrivé début 1944 j’ai été affecté au 12ème régiment des Chasseurs d’Afrique (12ème RCA) du Colonel Langlade rejoignant la vingtaine de mécaniciens de l’escadron hors rang (EHR).

Affecté à l’utilisation d’un char, le Sherman « Donon »

Le titre de Chasseurs d’Afrique vient de l’époque où l’on utilisait des chevaux pour les combats. En 1943 les chars ont remplacé les chevaux en l’occurrence des Sherman, des petits chars mais avec à l’arrière un moteur d’avion leur assurant une grande rapidité.

Le 12ème RCA était un régiment de combat comme les autres mais avec un rôle bien particulier.

Cet escadron comportait deux Sherman, une chenillette auto mitrailleuse (half track) équipée d’une mitrailleuse de 50, deux jeeps et douze camions GMC. Cet escadron était composé d’un adjudant-chef, un sergent-chef, un brigadier-chef et des soldats de différents lieux d’Afrique du Nord et de France.

Norbert était conducteur du Sherman « Donon », j’étais son coéquipier. Les deux chars de l’escadron étaient équipés d’un treuil à l’arrière qui leur permettait de soulever les véhicules en panne. Ils portaient à l’avant un tube à la place du canon car ces chars n’étaient pas destinés aux combats mais à la maintenance des engins.

Le travail de l’ensemble de l’escadron HR consistait à la maintenance des véhicules de tout le régiment. Dès huit heures du matin, après le petit-déjeuner, avec l’ordre de mission distribué par l’adjudant-chef, nous nous rendions sur le véhicule désigné pour effectuer le meilleur réglage possible des moteurs. Notre camaraderie était bonne. L’équipe de chaque véhicule à contrôler nous recevait courtoisement. Après 18 heures, nous regagnions notre tente individuelle que chacun aménageait à sa guise.

Départ vers l’Angleterre

Un matin d’avril 44, on nous annonce le départ prochain de tout le régiment vers une destination inconnue. Chacun dans son véhicule nous nous retrouvons sur le port de Casablanca où nous découvrons une ville blanche comme Alger et des centaines de bateaux d’où montaient quantité de ballons-pièges pour les avions ennemis qui auraient été tentés d’attaquer l’armada.

Des Liberty-Ships ces cargos américains dont la capacité de transport était d’environ 10.000 tonnes, ouvraient leurs énormes portes à une cinquantaine de chars Sherman, des camions GMC, des auto-chenilles et autres véhicules qui s’engouffraient dans les soutes. Nous devions les fixer avec des chaînes dans le vacarme incroyable d’un départ imminent.

Le 8 avril 1944, tous les bateaux remplis de matériels et de milliers de soldats quittent le port de Casablanca et s’alignent pour former un convoi qui contournera les Acores de façon à éviter les sous-marins allemands.

Après treize jours de mer nous arrivons à Port Talbot ville industrielle et port du Pays de Galles situés à l’est de la baie de Swansea. Là, près du port, à la gare, des trains nous attendaient pour nous transporter à notre point de ralliement.

Le 23 avril 1944 le 12eme RCA arrive à Fimber Station, une gare importante dans le Yorkshire non loin de la petite ville de Garton-on-the-Wolds, pour y être stationné à proximité. Durant trois mois nous sommes restés en face de cette gare sur une prairie en pente douce couverte d’herbe. Les véhicules stationnaient à gauche et les marabouts qui abritaient chacun une trentaine de soldats à droite.

Durant douze semaines environ nous avons soudés sur les tourelles des chars des plaques d’acier blindé de six centimètres d’épaisseur. Pendant cette période nous recevions aussi de grosses caisses en bois avec des notices de renseignements pour assembler des centaines de pièces détachées de jeep et autres engins. Aussitôt montés par nos soins, ces véhicules étaient pris en charge par des militaires sans affectation particulière.

Le grand départ pour le combat sur le sol français

Le 24 juillet 1944 nous étions à Southampton pour embarquer vers la France. Je fus mis dans le même type de navire que celui qui m’avait transporté de Casablanca à Port Talbot en Angleterre quelques mois auparavant, un Liberty Ships.

Avec mes coéquipiers j’ai d’abord fixé solidement au fond du navire le Sherman qu’on nous avait attribué. La Manche était calme et j’étais fort impressionné par la quantité de bateaux de toutes sortes qui franchissaient ensemble l’espace qui nous séparait de la France.

Le 1er août nous débarquons en France sur la plage de Saint-Martin de Vareville à 36 kilomètres de la ville de Saint-Lo, l’une des cinq plages du débarquement de Normandie du 6 juin (secteur Utah Beach). La 2ème DB va participer à la campagne de Normandie et plus précisément à l’encerclement des troupes allemandes et à la réduction de la poche de Falaise. C’est à partir de cette terre de France où je mettais les pieds pour la première fois que nous nous déployons. Sur cette plage le Général Leclerc est passé tout près de moi. J’ai eu l’honneur de lui serrer la main. Un moment fort d’émotion.

La Deuxième DB faisait partie de la 3ème armée américaine commandée par le Général Patton. Notre armement était à la mesure des évènements. La quantité de véhicule était impressionnante ce qui nous donnait des ailes. Je saurais par la suite qu’elle était constituée de 4200 véhicules, 200 chars, 650 canons, 2200 mitrailleuses et d’environ 16 000 soldats.

Le premier jour de combat notre régiment, le 12ème RCA, a perdu onze chars et donc de nombreux amis. Le blindage des Sherman ne résistait pas à la puissance des tirs des chars d’assaut allemands les fameux « Panther » pas très mobiles, avec une forte puissance de feu et une protection très efficace. J’ai eu à écrire de nombreuses lettres à nos amies anglaises qui avaient perdu le fiancé avec qui elles avaient espéré partager leur vie après la guerre. Ce fut pour moi les plus tristes moments de cette période.

Comme nos repas étaient toujours des boites de conserves reçues de l’intendance française mais de fabrication américaine, du corned-beef et des haricots à la sauce tomate, dès que nous apercevions une ferme, l’un des trois occupants du char allait discuter avec le fermier pour échanger nos boîtes contre du beurre, un lapin ou une poule...

Une avancée vigilante vers Paris

Durant notre progression dans l’ouest de la France pas encore totalement libérée des allemands, la moindre inattention de nos officiers pouvait coûter très cher

Près du village Les Mées dans le secteur de Mamers dans la Sarthe, nous devions attaquer une position allemande. Chaque régiment avait rejoint sa place désignée par l’Etat Major et nous attendions les ordres de nos officiers pour l’attaque, quand trois avions, des Thunderbolt américains, arrivent vers nous. Assis sur la tourelle de mon char, je vois le premier avion piquer vers nous. Je sens le danger et me laisse glisser la tête la première jusqu’au fond du char. Là, immobile, je ressens les secousses des chapelets de bombes et de grenades lâchées sur nos chars d’assaut prêt à combattre. C’est alors qu’un ordre nous parvient de sortir les panneaux fluorescents de couleur que nous avions à bord et de les fixer sur le dessus de nos véhicules. Nos propres aviateurs nous avaient pris pour l’ennemi avec ordre de le détruire.

Les aviateurs américains découvrant leur méprise faisaient des passages et des manoeuvres en guise d’excuses. Ceux qui avaient oublié de nous faire sortir les panneaux de couleur sont responsable de la mort ou des blessures de beaucoup de nos camarades.

Je me souviens aussi d’un autre moment qui m’a beaucoup marqué. Après de rudes combats, il y eu un peu d’accalmie. Après l’attaque de chars de combats sur une position allemande nous devions rejoindre un lieu indiqué sur nos cartes d’état major. Nous levons le camp à l’heure annoncée et traversons le village où les habitants heureux de nous voir et d’entendre parler français nous mettent en garde : les allemands sont partis depuis dix minutes seulement du village.

Nous nous engageons cependant sur la route, à quelques centaines de mètres un virage sans visibilité sème l’inquiétude dans nos rangs. Un silence peu rassurant nous entoure, le silence de la guerre. Notre lieutenant désigne l’adjudant-chef pour aller reconnaître en jeep la route après ce virage afin de ne pas risquer l’engagement de tout l’atelier dans un guet-apens.

Nous restons en ligne au bord de cette route silencieuse quand un coup de canon assourdissant nous fait tous sursauter. Nous apercevons peu de temps après l’ordonnance courir vers nous dégoulinant de sang et criant pour nous faire rebrousser chemin. Un Panzer allemand venait de détruire la jeep tuant l’adjudant et le sergent...

La dernière étape la vallée de Chevreuse

Finalement notre progression vers Paris s’est déroulée sans trop de difficulté. Nous sommes arrivés le 21 août dans la vallée de Chevreuse à 30 kilomètres environ au sud-ouest de Paris. Moi qui venais d’Algérie où l’été ne permettait pas l’abondance de feuillage hormis la vigne, je n’avais jamais vu un endroit aussi verdoyant au mois d’août.

Le 22 août la ville de Chevreuse est évacuée par les Allemands. Au soir du 23 août 1944 les soldats de Leclerc sont aux portes de Chevreuse. Le 24 août à 7 heures 30 du matin les premiers blindés de Leclerc entrent dans la ville de Chevreuse.

Nous avions rendez-vous à l’entrée ouest de la ville à 10heures. La route est libre, nos deux Sherman, l’un en tête, l’autre en queue, enserrent la colonne des 12 GMC et les deux jeeps des gradés. Nous avançons par une belle journée ensoleillée. Mais un silence oppressant nous maintien en éveil. Nous ralentissons lorsque nous commençons à entendre les premiers coups sourds des mortiers ennemis. Nous recevons l’ordre de faire demi-tour, notre Sherman se met en tête pour effrayer l’ennemi. Il est suivi d’un second Sherman, l’half-track commence son tir avec la mitrailleuse de 50 et arrose tout ce qui nous entoure.

Les GMC font progressivement demi-tour et dès la fin de la manoeuvre nous nous replions en bon ordre cette fois sans perte d’hommes. Nous rejoignons les chars de combats de notre régiment qui ont amorcé le départ pour la délivrance de Chevreuse.

C’est donc par la vallée de Chevreuse que nous avons progressé vers Paris. Je me rappelle avoir été marqué tout au long du parcours par les nombreux cadavres de soldats allemands qui jonchaient le bord des routes et les trottoirs sur notre itinéraire.

Traversée de Malakoff et enfin la capitale

Le 24 août nous nous sommes arrivé dans la proche banlieue de Paris dans une atmosphère lourde, mais dans l’enthousiasme remarquable de la population des villes traversées. L’excitation nous gagnait car nous étions proche du but : la libération de la capitale. Nous étions informés des évènements qui se passaient. Nous avions conscience que nous participions à l’histoire.

La traversée de Clamart, Malakoff et Issy-les-Moulineaux fut rapide. A Malakoff la Division passa par la Porte de Chatillon et le Clos Montholon. Je ne me souviens plus les rues exactes par lesquelles nous avons traversé Malakoff. Je me rappelle toutefois que les gens déblayaient les barricades pour laisser passer nos chars.

Le 25 août ce fut notre entrée dans Paris. L’accueil des habitants était délirant. Les chars et GMC du régiment étaient stationnés près de la rue Lauriston où habitait ma marraine de guerre au numéro 100. Nous avons eu la permission d’aller sans armes nous promener dans Paris. Le Général de Gaulle devait s’adresser à la foule et défiler sur les Champs Elysées. J’étais proche de l’Arc de Triomphe quand des tirs allemands ou de miliciens montés sur les toits tiraient sur tout ce qui bougeait. Nos calots militaires de différentes couleurs furent vite retirés pour ne pas devenir une cible. Je vois encore les secouristes avec leur civières montées sur des roues de bicyclette s’entrecroisant et disparaissant pour emporter les blessés vers les hôpitaux. L’ambiance était à la fois électrique et inquiétante.

De retour à la rue Lauriston je récupérai ma mitraillette. Mais je ne pu tirer une seule balle. Sur les toits de Paris comment distinguer d’en bas les mauvaises et les bonnes silhouettes.

Alors que la Division Leclerc poursuivra son glorieux combat vers l’est, je serai pour ma part cantonné jusqu’au mois d’octobre 1945 à Saint-Germain en Laye avec une nouvelle équipe de mécaniciens. J’ai gagné mon grade de brigadier et rencontré de très bons amis qui m’ont aidé à passer le concours d’entrée à l’Ecole Nationale Technique de Strasbourg.

Démobilisé le 8 octobre 1945 j’ai pu rejoindre l’Ecole Nationale Technique de Strasbourg où je venais d’être reçu pour une formation, le début d’une longue vie professionnelle qui me conduira à enseigner de nombreuses années au Lycée Louis Girard de Malakoff. Mais çà, c’est une autre histoire ».


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