DERNIERE MISE EN LIGNE

MONOGRAPHIE PARTISANNE
Une vision particulière des habitants de Malakoff en 1878
Imprimer -

Au milieu du 19ème siècle, des études sur le travail, la vie domestique et la condition morale des populations ouvrières des diverses régions de France et sur les rapports qui les unissent aux autres classes furent publiées sous forme de monographies par la Société internationale des études pratiques d’économie sociale (1). Parmi ses études figure l’analyse de la vie d’un ouvrier cordonnier de Malakoff en 1878. Dans cet extrait, l’économiste Urbain Guérin, donne sa vision de la population de Malakoff, sans tradition, sans relation, indifférente à la religion mais surtout ce qui semble préoccuper notre enquêteur ce sont les discours qui remettent en cause l’ordre établi bourgeois et capitaliste !

« …Le village de Malakoff est sans passé, car il est de création récente. Son fondateur fut un restaurateur de la place Dauphine, condamné pour attentat aux mœurs, et qui s’établit à côté de la tour nommée, après la guerre de Crimée, tour de Malakoff.
Cette tour qui dominait une grande étendue du pays et d’où l’œil percevait les monuments de la capitale, le cours sinueux de la Seine et les coteaux boisés de Chatillon et Meudon, était visité le dimanche par la population des faubourgs de Paris et fut peu à peu entourée de restaurants très fréquentés.
Lorsque les promeneurs devinrent plus nombreux, de nouveaux restaurants s’ouvrirent et les maisons se construisirent autour de ce premier noyau. Surtout depuis l’annexion des communes de la banlieue, beaucoup d’ouvriers, désireux de se soustraire aux conditions difficiles de la vie à Paris sont venus habiter les maisons élevées par les entrepreneurs. Celles-ci, presque toutes semblables, ne comprennent pas plus d’un étage et sont entourées d’un petit jardin.
 
Un grand nombre d’étrangers se trouvaient parmi les premiers habitants de Malakoff. Depuis lors, ce mouvement d’émigration en dehors de la capitale s’est accentué, les facilités de communication sont devenues plus grandes et ainsi s’est constitué ce village qui s’étend sur un espace de plus d’un kilomètre. Si les tramways ont contribué pour une forte part à augmenter le chiffre de la population, ils ont, en revanche, diminué le nombre de promeneurs qui se dirigent surtout vers Chatillon, point terminus de la ligne de tramways partant de Saint-Germain-de-Prés.
 
Malakoff, ainsi formé par l’émigration d’une grande ville, présente tous les caractères d’un faubourg des cités populeuses et les témoignages recueillis sur ce village ont résumé d’un mot son caractère principal. C’est un pays sans tradition ; ainsi subit-il encore plus profondément que les autres parties du territoire l’action des hommes de nouveauté et la désorganisation sociale y est plus avancée.
 
Le village se compose en effet d’habitants qui n’ont aucune relation les uns avec les autres et qui vivent isolés, sans être soumis à une action commune et réunis par un intérêt identique. Les employés, fixés à Malakoff, passent leur journée à Paris et ne rentre que le soir dans leur domicile. Les ouvriers travaillent presque tous pour les patrons demeurant dans la capitale, sauf un petit nombre de maçons résidant à Malakoff et dont les constructions nouvelles nécessitent leur présence.
 
Un élément important de la population est une colonie étrangère parmi laquelle les Allemands forment la majorité. Partis après les évènements de 1871, tous les habitants du pays s’accordent à dire qu’ils sont aujourd’hui en aussi grand nombre qu’avant la guerre, et la plupart des patrons qui s’étaient engagés à ne pas les reprendre à leur service, n’ont pas persisté dans leur détermination bruyamment annoncée. Interrogés sur les motifs qui les ont amenés à revenir sur cette résolution, les patrons assurent que les Allemands fournissent des ouvriers sobres, résistant à la fatigue et élevant moins d’exigences que nos compatriotes.
 
Cette colonie étrangère vit entre elle, évite de se mêler à la population française et se réunit dans les cabarets où elle ne rencontre que des étrangers.
 
Sur ce sol qui ne renferme qu’une juxtaposition d’habitants, la grand propriété n’existe pas, et la terre se répartit entre un nombre considérable de propriétaires. La commune de Vanves-Malakoff comprend en effet 1,585 cotes foncières et 1,439 maisons, sur ce chiffre, le village de Malakoff représente à peu près la moitié.

UN VILLAGE A BANLIEUE MORCELEE
 
C’est donc le village à banlieue morcelée, avec une population sans cohésion, chez laquelle l’influence des autorités naturelles s’efface et le sentiment religieux devient de moins en moins vivace….
Les habitants, sous l’influence des journaux révolutionnaires, manifestent encore leur sentiment anti-religieux, en adressant des plaintes amères contre le budget des cultes auquel il reprochent de ne pas rétribuer un service public.
Si le curé, désireux de prolonger les habitudes religieuse des jeunes gens se heurte à l’indifférence des parents, l’instituteur lui aussi, se plaint de la mauvaise éducation de ses élèves. Les parents veulent sans doute que leurs enfants acquièrent une certaine instruction, mais ils ne tiennent pas à leur assiduité à l’école.
L’autorité n’existe plus dans la famille où les pères croient remplir leurs devoirs, quand ils ont assuré l’existence matérielle de leurs enfants. Ils se renferment dans une complète indifférence au sujet de leurs sentiments moraux. Les motifs les plus futiles attirent aux enfants de sévères réprimandes, tandis que les fautes graves passent sans reprochent.
 
Aussi, dans cette population, privé de guides, dépourvue de tradition, ayant perdu toute foi religieuse, l’influence appartient-elle à quelques légistes médiocres ne donnant pas l’exemple des qualités morales et dévoués aux théories modernes, ils contribuent à augmenter la désorganisation sociale. Les ouvriers qui se réunissent tous les dimanches dans les cabarets écoutent docilement les politiciens de bas étage qui commentent les doctrines propagées par des journaux, dévoués aux faux dogmes de 1789.
 
Telle est la physionomie de Malakoff qui, malgré sa proximité se distingue de Vanves par des traits essentiels. Ce dernier village n’est pas en effet une création du XIXème siècle. Connu depuis le roi Robert, il a été érigé en paroisse au XIIème siècle et il reste encore sur ce territoire de vieilles familles de blanchisseuses qui conservent les traditions du passé. Malakoff n’est plus au contraire habité que par des familles instables et abimées dans un matérialisme complet… ».
-------------------------------------------
(1) Les ouvriers des deux mondes Tome 5, 1885) p 163-200

Malakoffpatrimoine.fr - Site internet participatif
>> Nous contacter