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TESTAMENT
Lettre du Malakoffiot Martin Vaillagou à son fils Maurice
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Collectée dans le cadre d’un vaste appel de Radio France Bleue (plus de 8000 lettres de poilus collectées) les lettres du Poilu Martin Vaillagou, un Malakoffiot habitant le Clos Montholon fait l’objet de multiples reprises car elle exprime des sentiments forts qui touchent encore aujourd’hui. Ainsi les lettres servent pour des dissertations, les pacifistes la citent volontiers. Elles sont retenues dans des spectacles de lectures-choisies, figurent sur de nombreux sites internet et illustrent même quelques vignettes d’une Bande Dessinée. Jean-Pierre Guéno, ancien directeur des Editions à Radio France l’a mise à l’honneur dans son ouvrage « Paroles de Poilus ».

Jean-Pierre Guéno exprime dans son ouvrage tout l’intérêt des écrits de Martin Vaillagou. « Personnellement, je ne cesse de penser à la lettre du soldat Martin Vaillagou qui écrit à son fils, fin août 1914, au moment des pires tueries, et alors qu’il a toutes les raisons d’être animé par les pires intentions d’homicides à l’encontre des Allemands. Comme la plupart des Poilus, il a perdu un tiers de ses amis d’enfance. Ils ont été mobilisés au même endroit, il les a vus, étripés, le ventre à l’air, explosés. Et que dit-il à ses enfants ? « Jusqu’à présent mes enfants, les hommes n’ont su que s’entre-déchirer, c’est à vous que reviendra la tâche qui consistera à bâtir la fraternité universelle et l’Europe de demain. » J’ai toujours été surpris de ne pas trouver dans les lettres de Poilus - ou si peu - de traces de haine « anti-boche ». Ce qui m’a toujours frappé dans les lettres des poilus, c’est au contraire leur humanité, cet entêtant refus de diaboliser l’ennemi ».

Qui est donc ce poilu de Malakoff dont les écrits trouvent un tel écho ?

Martin Vaillagou est né le 28 juillet 1875 dans le Quercy. Il a épousé sa femme Eugénie en 1900 et il est venu vivre avec elle à Malakoff, dans le quartier du Clos Motholon, au sud de la ville, près du Fort militaire de Vanves, au 7sentier des Garrements. Là, ils ont fondé ensemble une entreprise de maçonnerie qui est devenue prospère. Deux enfants sont nés : Maurice en 1904, Raymond en 1909... Martin était admirateur de Jaurès et poète à ses heures. Mobilisé* comme ses quatre frères, le soldat Vaillagou à été « tué à l’ennemi » il avait 35 ans, avec seize autres hommes lors d’une embuscade au coeur du petit bois des Bouleaux dans la région de Mourmelon (Marne), le 25 août 1915, un mois avant la mort de deux de ses frères, tués le même jour et au même endroit. Le corps de Martin Vaillagou reviendra du front et sera inhumé le14 mai 1922 dans la sépulture familiale au cimetière de Malakoff (Allée E 668). Son nom figure sur le Monument aux Morts de Malakoff.

Maurice, son fils aîné qui lui demandait de lui rapporter des balles ennemies et un casque de Prussien (objet d’une lettre reproduite ci-dessous), a dû travailler après la mort de son père dans une entre­prise de produits chimiques. Il est mort d’une leucémie foudroyante en janvier 1918, trois ans après son père. Il avait quatorze ans.

Correspondance destinée à son fils Maurice qui lui demandait notamment de lui rapporter un casque de boche.

... « Je vais exaucer les voeux à Maurice dans la mesure du possible. D’abord pour les lignes de combat, je vais tra­cer un plan au dos de cette feuille que tu pourras suivre et expliquer à maman, à moins que maman comprenne mieux que Maurice. Pour les balles allemandes, je pour­rais le faire. J’en apporterai quand je reviendrai. Pour le casque de Prussien, cela n’est pas sûr. Ce n’est pas main­tenant le moment d’aller les décoiffer. Il fait trop froid, ils pourraient attraper la grippe. Et puis, mon pauvre Maurice, il faut réfléchir que les Prussiens sont comme nous. Vois-tu qu’un garçon prussien écrive à son père la même chose que toi et qu’il lui demande un képi de Français, et si ce papa prussien rapportait un képi de Français à son petit garçon et que ce képi fut celui de ton papa ? Qu’est ce que tu en penses ? Tu conserveras ma lettre et tu la liras plus tard quand tu seras grand. Tu comprendras mieux.

A la place du casque de Prussien, je vais t’envoyer à toi, à Raymond, maman peut les rece­voir aussi, des petites fleurs de primevères que les petits enfants (garçons et filles) du pays où je suis cueillaient autrefois et qui faisaient leur joie, et que moi, le grand enfant, j’ai cueilli cette année dans leur jardin pour te les envoyer. (Je ne les vole pas, elles se perdraient tout de même.) Je vous les envoie pour que vous pensiez un peu à leur malheur de n’être plus dans leur maison. Je vois, je mets même mes ustensiles de cuisine sur un petit dodo de ces petits enfants. Il y en a là deux, même que je ne peux voir sans penser à vous et les larmes aux yeux me disent que vous êtes tout de même heureux par rap­port aux autres... »

... « Du champ de dévastation où nous sommes, je vous envoie ce bout de papier avec quelques lignes que vous ne pouvez encore comprendre. Lorsque je serai revenu, je vous en expliquerai la signification. Mais si le hasard voulait que nous ne puissions les voir ensemble, vous conserverez ce bout de papier comme une précieuse relique ; vous obéirez et vous soulagerez de tous vos efforts votre maman pour qu’elle puisse vous élever et vous instruire jusqu’à ce que vous puissiez vous instruire vous-même pour comprendre ce que j’écris sur ce bout de papier. Vous travaillerez toujours à faire l’impossible pour maintenir la paix et éviter à tout prix cette horrible chose qu’est la guerre. Ah ! la guerre quelle horreur !... villages incendiés, animaux périssant dans les flammes. Etres humains déchiquetés par la mitraille : tout cela est horrible. Jusqu’à présent les hommes n’ont appris qu’à détruire ce qu’ils avaient créé et à se déchirer mutuelle­ment. Travaillez, vous, mes enfants avec acharnement à créer la prospérité et la fraternité de l’univers. Je compte sur vous et vous dis au revoir probablement sans tarder. Votre père qui du front de bataille vous embrasse avec effusion

Suippes (Marne), le 26 août 1914

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*Martin Vaillagou du 247ème Régiment d’Infanterie, 21ème Compagnie. Matricule 18556/296. Classe 1895, Cahors, venu du 131ème Régiment d’Infanterie

*Lettres extraites de « Les Poilus - Lettres et témoignages des Français dans la Grande Guerre (1914-1918), Jean-Pierre Guéno, Librio n°1083, 2013, édition du centenaire, pp. 37-3


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