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UN PARCOUR ARTISTIQUE
Paul Alex Deschmacker, l’artiste inspiré de la salle de Justice de Paix (1)
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Paul Alex Deschmacker est choisi en 1941 par le Service des travaux artistiques du Commissariat à la lutte contre le chômage pour être le maître d’oeuvre d’une nouvelle peinture murale de la salle de Justice de Paix à Malakoff en remplacement d’une autre œuvre jugée non conforme par la Délégation Spéciale mise en place par la Préfecture de la Seine en remplacement du Conseil Municipal dissous.

Paul Alex Deschmacker le maître d’oeuvre de la peinture murale de 53m2 de l’ancienne salle de Justice de Paix à Malakoff est un artiste peu connu malgré les centaines d’oeuvres qu’il a produites. Ses peintures, dessins et aquarelles font encore l’objet de ventes chez les marchands d’art et les salles spécialisées plus de cinquante ans après sa mort (1973).

Si les archives manquent pour connaître le cahier des charges de l’oeuvre restaurée en 2020, les thèmes retenus montrent que ce fut une commande bien encadrée pour valoriser entre autre la politique du « travail, famille patrie » du gouvernement pétainiste.

Paul Alex Deschmacker est né à Roubaix en 1889. Son père Edouard Deschmacker est négociant en tissus, rue de Tourcoing. Sa vocation lui vient très tôt. Au lycée Saint Louis, à Roubaix, sa vocation perçait déjà et ses meilleures notes étaient en dessin. Son père le destinait à la fabrication textile, lui voulait aller aux Beaux-Arts. (Portrait ci-contre de 1929).

Ses débuts dans la peinture sont modestes. Il est malheureusement handicapé par une mauvaise vue et n’a pas de lunettes. Dès qu’il a des lorgnons le démarrage est foudroyant. Il est rapidement reconnu pour ses talents. Quand papa Deschmacker voit son fils rafler de nombreuses récompenses il donne son accord pour des cours de dessins et de peinture à l’Ecole des Beaux-Arts de Lille. Son passage dans la capitale des Flandres est marqué par des médailles d’or, par un prix départemental et il reçoit une bourse pour quatre ans afin d’étudier à Paris à la prestigieuse Ecole des Beaux-Arts. Sous la houlette de Fernand Cormon, membre de l’Académie des Beaux-Arts, il parfait sa technique dans « l’atelier Cormon » qui a vu passer des grands artistes comme Vincent van Gogh, Henri Matisse, Henri de Toulouse-Lautrec... Ses camarades d’école le baptisent « Van Dyck » pour sa facilité dans le portrait.

Durant cette formation il obtient une première participation au fameux Salon d’Automne créé au Petit Palais en 1903 dans le but de faire découvrir de jeunes artistes. Il raconte au comédien Jean Piat (1) comment il arrive à postuler au prestigieux salon. « Mon professeur le peintre Cormon me dit un jour que je devais envoyer quelque chose au Salon d’Automne. Je me suis mis alors au travail, un grand portrait, d’une jeune fille brune dont le père était professeur au lycée de Tourcoing. J’ai consacré de longues heures de pose et six semaines de travail. J’y avais mis tout mon savoir… Cormon l’apprécia mais aperçu un petit portrait de ma sœur en blouse bulgare que j’avais peint en m’amusant en deux semaines aux vacances précédentes. Il me pressa de l’envoyer aussi au Salon. Et de fait, le jury du Salon refusa la grande toile et accepta la petite, en la proposant même pour une mention… »

Enseignement et vrai début artistique

Paul Alex ne reste que deux ans à Paris à l’Ecole des Beaux Arts souhaitant rejoindre l’armée alors que s’annonce la Première Guerre Mondiale. A son grand regret sa demande d’engagement volontaire est rejetée à cause de sa mauvaise vue.

De retour à Roubaix sa ville natale il y reste bloqué comme beaucoup d’autres par l’occupation ennemie. Il n’a pas le temps de rester inoccupé, le Directeur de l’Ecole Nationale des Arts et Industries Textiles de Roubaix cherche à combler les vides provoqués par la mobilisation des professeurs. Grâce à son expérience parisienne il lui offre un poste. Dès octobre 1914, il dispense son jeune savoir dans l’école qu’il avait quitté depuis peu comme étudiant.

Après la Grande Guerre il s’installe à Paris avec son épouse Juliette et pendant plus de cinquante ans il travaille dans un immense atelier sous une haute toiture en baie-vassistas qui dispense une belle lumière. A côté, son appartement spacieux situé aux pieds de la butte Montmartre, entre Blanche et Pigalle, se prolonge avec un grand balcon en face des toits qui s’étagent jusqu’au Sacré-Coeur.

C’est la Galerie Allard à Paris qui lui offre sa première exposition en 1924. Il y expose des figures de femmes. La critique voulu voir en lui le successeur de Boldini, ce peintre italien auteur de portraits d’élégantes, peint avec une extraordinaire virtuosité. La réputation de Deschmacker comme portraitiste commence à s’affirmer, mais il ne veut pas se laisser enfermer dans le portrait. A une époque ou l’on avait coutume de choisir entre le paysage et la figure, Deschmacker s’empare avec autorité de chacun des éléments observe un critique d’art parisien. Un autre écrit « que l’on ne sait qui l’emporte du paysage ou du nu et que l’on est obligé de constater qu’ils s’accordent complètement, merveilleusement.. » En fait Deschmacker est un artiste figuratif peu tenté par l’abstraction qui se manifeste par la représentation du visible sous plusieurs genres : le portrait, le paysage, la nature morte.

A partir de 1927 il expose au Salon des Tuileries où sont confrontées toutes les écoles nouvelles et régulièrement au prestigieux et incontournable Salon d’Automne.

C’est dans la période de l’entre-deux guerres que Paul Alex Deschmacker est reconnu pour ses qualités de portraitiste, ses nus de femmes, ses paysages, ses natures mortes, et pour son goût du symbolisme où l’on retrouve l’influence d’Odilon Redon le célèbre peintre graveur du symboliste français. Ses œuvres traduisent un classicisme enlevé en phase avec le style Art Déco alors à son apogée. Les personnages mythologiques peuplent ses toiles. Dans leurs comptes-rendus des salons les critiques d’art parlent de Deschmacker comme « un artiste sensible, coloriste distingué, décorateur, habile. Ses paysages et ses nus sont harmonieux et riches ».

Pour ses compositions les critiques n’hésitent pas la comparaison. Ils évoquent Claude Lorrain le peintre considéré comme le représentant le plus éminent du paysage classique. William Turner, le précurseur britannique de l’impresionnisme. Jean Baptiste Corot, connu pour ses paysages composés, Puvis de Chavannes, auteur de grands décors muraux au 19ème siècle, et Nicolas Poussin, représentant majeur du classicisme pictural…

Selon les spécialistes Deschmacker est un moderniste et un rêveur, ses sujets et ses compositions sont classiques mais modernes, colorées mais composées, créant une certaine ambiance lyrique. Les personnages féminins très nombreux dans ses toiles sont fortes, comme des déesses, et regardent souvent l’observateur. L’artiste affectionnait particulièrement le vert et le bleu. La peinture murale de la salle de Justice de Paix de Malakoff réalisée en 1942 traduit bien son style. En fait on rattache Deschmacker à la fois au classicisme, à l’antique, à la beauté du paganisme.

L’influence des Nabis, mouvement artistique postimpressionniste, se fait également sentir dans ses œuvres. Plus tard, il en fera la synthèse à travers de grandes compositions aux personnages inspirés de l’antiquité et de la Renaissance et s’inscrivant dans de larges paysages ouverts. Il produit également des dessins pour des revues médicales et de poésies.

Après la Seconde Guerre Mondiale, il enseigne à l’Ecole des Arts appliqués de Paris et à la Grande Chaumière l’académie privée du quartier Montparnasse tout en exposant régulièrement lors des salons. Avec le temps Deschmacker délaisse l’huile pour le pastel ou pour l’aquarelle.

L’exposition qui sort l’artiste de l’oubli

A l’occasion de la seule rétrospective consacré à Deschmacker au Musée de la Piscine à Roubaix en juin 1986, Didier Schulmann, alors conservateur du musée (2) parle d’une peinture de qualité : « Sa longue carrière dit-il a été marquée plus par ses choix esthétiques et les contraintes de son inspiration que par le foisonnement des mouvements artistiques qui jalonnèrent le XXème siècle. Il fut fidèle à l’esprit « Art Déco » dans ce qui le caractérise le plus positivement : souci des formes simples, amples, rondes et harmonieuses, intentions décoratives, lisibilité, accessibilité, couleurs… Ses nus offrent une très belle image de la femme parfaitement bien posée, installée, inscrite dans le monde comme dans la toile, auxquels répondent dans le paysage, des arbres aux troncs solides et massifs…Cette capacité à camper les corps dans le repos, l’alanguissement où la mélancolie se retrouve à l’état pur dans les admirables dessins et les très belles gravures… »(3) et la peinture murale de la salle de Justice de Paix.

Plusieurs grands musées conservent les œuvres de Deschmacker principalement le Musée de La Piscine à Roubaix, qui a organisé en juin 1986 la seule rétrospective des peintures de Deschmacker avec plus de deux cents œuvres qui ont montré la diversité de son style. Dans cette exposition figurait notamment l’oeuvre N°109, une étude au crayon de Deschmacker pour la salle de Justice de Paix de Malakoff. Plusieurs grands musées français conservent aussi des œuvres de Deschmacker : le Louvre, le musée Cantini de Marseille, le Musée d’Art Moderne et Contemporain de Strasbourg.... La ville de Malakoff peut s’enorgueillir de posséder une œuvre majeur de Paul Alex Deschmacker dans l’ancienne salle de Justice de Paix, dédiée aujourd’hui au tiers-lieu artisanal. Une œuvre qui traduit bien le style de l’artiste.

Jacques Hamon

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1)Jean Piat : acteur et écrivain, Sociétaire de la Comédie Française (1924§2018)

2)Didier Schulmann à été ensuite conservateur du patrimoine au Musée National d’Art Moderne/Centre Pompidou Paris

3) Propos exprimés dans la plaquette de l’exposition Deschmacker au Musée de Roubaix en 1986

 

Quelques tableaux de Paul Alex Deschmacker


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