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TEMOIGNAGE LITTERAIRE
Combats durant la Commune (1871)
Histoire d’un trente sous au fort de Vanves
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Engagé dans les combats contre les Prussiens, puis chez les fédérés de la Commune, un trente sous, comme on appelait alors les combattants de la garde nationale (car payé trente sous par jour), le soldat Sutter-Laumann, 18 ans, originaire du Pecq, raconte ses souvenirs personnels dans un ouvrage édité en 1891. Sur quelques pages il relate les combats du Clos Montholon autour du fort de Vanves. Un lieu couvert de vergers et de prés labourés. Aujourd’hui, le quartier sud de Malakoff.

"…Un grand remous se produit soudain dans la foule. Elle s’ouvre pour livrer le passage à un garde nationale en vareuse qui, tout essoufflé, gesticulant plus qu’il ne parle, s’écrie, quand il peut reprendre haleine : « Les Versaillais attaquent le fort de Vanves ! ».

Derrière cet homme en arrivent bientôt deux autres qui confirment ses dires. Les gendarmes sont à cinq ou six cents mètres de la tranchée de Vanves. Les messagers de mauvaises nouvelles viennent demander du secours.
Un officier fédéré à cheval vint aussi, peu après, faire part de la situation critique du fort : « Citoyens, nous dit-il, si les tranchées tombent entre les mains des Versaillais, le fort de Vanves est pris ; celui d’Issy est tourné, la bataille est perdue… »
Les bataillons qui se trouvaient sur la place (d’Issy) se rassemblèrent comme ils purent, et dans un élan d’enthousiasme, ils partirent en criant : « A Vanves ! à Vanves ! Vive la Commune ! ».
 
Tant que nous fûmes sous le fort d’Issy, ou plutôt derrière, car nous suivions la route militaire, ça alla bien. Mais quand nous défilâmes sur la hauteur entre Issy et Vanves, notre affaire changea du tout au tout. Les balles pleuvaient comme la grêle et les obus aussi. Les Versaillais, voyant une troupe en marche, faisaient converger leurs feux sur elle. En un rien de temps, une dizaine d’hommes étaient atteints…

 
Tout le monde sauta dans les fossés de la route, mais ils étaient si peu profonds que nous avions tout le buste en dehors. Nos rangs s’éclaircissaient à vue d’œil, non seulement par le feu de l’ennemi, mais aussi par la désertion.
Au bout de dix minutes, nous n’étions guère plus de la moitié, sur les trois ou quatre cents du départ. Bientôt nous n’étions plus qu’une cinquantaine, et quand nous arrivâmes au remblai de chemin de fer de Paris à Versailles, qui se trouve à peu près à égale distance des forts d’Issy et de Vanves, nous n’étions pas plus de vingt. Dans ces conditions notre secours était dérisoire. Derrière ce remblai, en nous baissant, nous étions à l’abri, mais les balles passaient par-dessus, et le franchir présentait une sérieuse difficulté.
 
Nous nous arrêtâmes là quelques instants, indécis. Enfin, au nombre de sept ou huit, nous franchîmes l’obstacle, et aucun de nous ne fut touché.
Deux ou trois cents pas plus loin, nous nous heurtâmes à un talus élevé qui nous abritait encore jusqu’à l’épaule. De l’autre côté, une plaine unie, allant un peu en pente ; ça et là des arbres fruitiers en pleine floraison étalant leurs bouquets blancs et roses. A cent mètres environ, une petite maisonnette, n’ayant qu’un rez-de-chaussée et qui pouvait servir de pied-à-terre à des Parisiens, le dimanche, ou de resserre à quelques maraîcher du pays.
 
Le terrain, aux alentours, était fraîchement labouré, et les balles s’enfonçaient dans les mottes de terre qu’elles faisaient éclater en poussière… Pas très loin, nous apercevions les glacis du fort ; plus bas, une mince ligne indiquait les tranchées d’où partait une fusillade insignifiante, quelques coups de fusil, tandis qu’au-delà, dans les vergers, au-dessus des haies et des buissons, s’élevaient d’épais flocons de fumée blanche. C’était là qu’étaient les assaillants (Versaillais)…
 
Je sautai d’un bond par-dessus le talus et je me mis à courir. J’atteignis un groupe d’arbres espacés et, pour reprendre haleine, je m’arrêtai derrière le plus gros…Cette situation ne pouvait durer. Ayant quitté mes compagnons, j’avais hâte d’en retrouver d’autres. Une nouvelle course me conduisit jusqu’à une bicoque dont une partie de la toiture avait été emportée par un boulet. De ce point aux tranchées, il n’y avait plus aucun arbre, aucun buisson, aucun tertre, le sol était rasé…Je pris mes jambes à mon coup.
 
J’arrivais dans la tranchée. Je fus stupéfait. Il n’y avait là que onze hommes appartenant pour la plupart au 91è bataillon. Ils furent aussi très surpris de me voir…Je m’expliquais et prenant position contre le parapet de la tranchée, je me mis à tirer sur les flocons de fumée blanche qu’on apercevait au loin…
La journée était déjà avancée. Le soleil allait se coucher, j’avais vidé ma cartouchière. Les Versaillais (troupe du gouvernement de Thiers), gênés par les volées de canon de Vanves et d’Issy, s’étaient reportés en arrière. L’attaque était repoussée…
 
Derrière le fort de Vanves, il y avait une masse de gardes nationaux. Quand la nuit fut venue, cette masse se mit en mouvement du côté de Paris. Nous suivîmes le troupeau, qui s’écoulait un peu en débandade, regagnant en hâte les fortifications entourant Paris. La Commune était vaincue : sa chute n’était plus qu’une question de temps. Toute tentative d’attaque sur Versailles était désormais inutile, puisque trente mille fédérés, déployés du Bas-Meudon jusqu’au-delà de Châtillon, appuyés sur deux forts pourvus d’artillerie, n’avaient pu enlever des positions faciles à aborder et défendues seulement par deux ou trois régiments de ligne, sept ou huit cents gendarmes, et quelques pièces de canons… »
 
Histoire d’un trente sous, Auteur : Sutter-Laumann, parue en 1891 chez Albert Savine Editeur. Archives BNF

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