SOMMAIRE :
Le sacré

Un territoire


Le bâti


Les activités


L’ENGAGEMENT D’UNE VIE
Gustave Durassié, le Poilu de Malakoff passeur de mémoire

Le carré militaire de la Première Guerre Mondiale au cimetière communal de Malakoff comporte parmi les 120 sépultures de poilus (1) celle de Gustave Durassié, Lieutenant au 95è RI qui a connu l’enfer de Verdun. Durant toute sa vie il sera un passeur de mémoire à Malakoff, dans les associations locales et nationales d’Anciens Combattants et le monde de l’édition du livre de guerre.

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Le carré militaire de la Première Guerre Mondiale au cimetière communal de Malakoff comporte parmi les 120 sépultures de poilus (1) celle de Gustave Durassié, Lieutenant au 95è RI qui a connu l’enfer de Verdun. Durant toute sa vie il sera un passeur de mémoire à Malakoff, dans les associations locales et nationales d’Anciens Combattants et le monde de l’édition du livre de guerre.

Gustave Durassié décédé en 1986 à l’âge de 99 ans à l’Institution Nationale des Invalides a marqué la vie locale comme membre d’associations patriotiques, dans ses choix professionnels comme maître imprimeur et éditeur à Malakoff, et par ses divers engagements au service d’un idéal de solidarité avec les Anciens Combattants noués dans les combats et les tranchées de Verdun durant la Première Guerre Mondiale.

Le père de Gustave Durassié était issu d’une famille d’armateurs bordelais qu’il quitte pour devenir ouvrier imprimeur à Bourges. C’est là que naît Gustave en 1887. Après l’obtention du certificat d’études primaires, à 14 ans il entre dans la profession de son père. Toute la famille va monter à Paris. En plus de son travail d’ouvrier imprimeur rue de Bondy à Paris Gustave trouvera encore le moyen d’aider sa famille financièrement en installant le samedi matin avant l’aube les stands du marché du boulevard Raspail dans le 13ème arrondissement de la capitale

A 20 ans en 1907 il s’engage volontairement au 15ème Régiment des Dragons à Libourne où il est affecté dans le train des équipages qui organise la logistique, le transport et l’appui de l’Armée de terre. Il y restera jusqu’en 1910 avec le grade de brigadier. Lorsque le 3 août 1914 l’Allemagne déclare la guerre à la France il demande à rejoindre son frère au 95ème Régiment d’Infanterie

Dans l’enfer de Verdun

Intégré comme adjudant au 95ème RI, Gustave Durassié se lie d’amitié avec Jacques Péricard, un autre adjudant. Cette rencontre sera déterminante pour eux deux. Ils ne se quitteront plus de retour à la vie civile. Avec le 95ème RI ils seront sur tous les fronts, en Lorraine, puis dans la Woëre sur les secteurs de la forêt d’Apremont et du Bois-Brulé, au coeur des tranchées du Saillant de Saint-Mihiel où les hommes se battaient au corps à corps pour chaque mètre de terrain. Chef de corps franc dans une unité spécialisée dans l’assaut des tranchées ennemies, il est remarqué pour sa bravoure et sera titulaire de sept citations.

L’enfer de Verdun durant trente deux mois va les marquer à jamais. Le 95ème RI se bat à Fleury devant Douaumont qui est pris et repris 16 fois. Chaque assaut est meurtrier sous les bombardements. Le 95ème continuera la guerre en Argonne puis en Champagne. Gustave Durassié est deux fois grièvement blessé et finalement amputé de la jambe gauche le 17 avril 1917.

Durassié et Péricard terminent la guerre avec le grade de Lieutenant. Après l’interminable conflit mondial Gustave Durassié reprend son métier d’imprimeur, Jacques Péricard devient journaliste et écrivain et historien de la bataille de Verdun connu aussi pour avoir prononcé la phrase restée célèbre lors des combats du Saillant de Saint Mihiel au Bois Brulé « Debout les morts ».

Transmettre pour perpétuer la mémoire des Poilus

Les deux frères d’armes vont alors activement perpétuer la mémoire des Poilus pour que leurs combats et l’horreur du front ne tombent pas dans l’oubli. La bataille de Verdun doit rester dans la mémoire collective aussi ils lancent l’idée d’un volume souvenirs qui serait construit à partir de témoignages de Poilus de Verdun. Leur appel rencontre un large écho, et ils reçoivent plus de 5000 réponses. Le gros volume illustré intitulé « Ceux de Verdun » qu’ils en tirent connaît un grand succès.

Parce qu’ils fallait raconter et transmettre, grâce à la plume de l’un et la société d’édition de l’autre, Jacques Péricard et Gustave Durassié lancent en 1922 une publication annuelle « L’almanach du Combattant » une publication à destination de tous les combattants qui paraîtra jusqu’en 1993.

Tiré à 100 000 exemplaires à ses débuts, l’almanach se veut promouvoir une fidélité aux camarades, porter un regard critique... et donner tout un ensemble de considérations pratiques pour les combattants et leurs familles. Il avait par ailleurs la nette intention de structuration et de fédération des Anciens Combattants. Le texte qui ouvre les pages du premier numéro est clair : « ..C’est pour vous rappeler vos titres de noblesse, c’est pour vous prêcher la toute puissance de l’union, que je suis sorti de l’ombre. Pour vous et vos familles, pour vos morts et les ayants droits de vos morts. Ralliement, camarades ! »

Seront ainsi publiés des milliers d’articles sur des batailles de la Première Guerre Mondiale, des récits, des carnets de bord, des biographies de combattants. L’almanach assurera un rôle d’assistance juridique, mais fera également connaître des contes, des poésies et même des pièces de théâtre. Bien qu’il était à dominante conservatrice l’almanach revendiquait le parrainage de toute les grandes associations d’Anciens Combattants et comportait en fin de volume un annuaire des Associations. Cette fidélité aux camarades a donné un contenu largement composé de récits et souvenirs qui restent aujourd’hui une source fondamentale pour l’étude de la Grande Guerre et permet aussi de suivre sur plusieurs décennies sa mise en mémoire.

Dans le même temps en 1923 Gustave Durassié et Fernand Ducom créent l’Association « Ceux de Verdun » dans le but de regrouper tous les soldats qui s’étaient battus sur les terres sacrées de la Meuse. Le premier président de l’association sera Jacques Péricard. En 1938 sera créée » la Fédération Nationale de « Ceux de Verdun ». En 1951 Gustave Durassié en deviendra le président national, tout en étant de nombreuses années administrateur du Mémorial de Douaumont, membre actif du Conseil d’Administration de l’association Le Souvenir Français...Il était considéré comme un orateur exceptionnel.

Editer, diffuser

A Malakoff avec trois camarades de tranchée Gustave Durassié achète en 1925 des locaux de la Société Dikson-Constant spécialisée dans la toile et les tissus techniques au 162 route de Chatillon (aujourd’hui Avenue Pierre Brossolette) et crée une entreprise d’imprimerie spécialisée dans les livres de guerre dont il assurera la gérance jusqu’à 84 ans.

Au début de l’occupation en 1940 Gustave Durassié est dénoncé par un collaborateur Pétainiste. Sous l’inculpation d’éditeur clandestin les nazis l’arrêtent et l’emprisonnent malgré son infirmité. Mais durant la confrontation dans les locaux Allemands, son délateur ne le reconnaît pas. Gustave Durassié rentrera chez lui après quatre mois d’incarcération.

Durant toute la seconde guerre mondiale l’imprimerie de Malakoff sera confrontée au manque de papier et à l’impossibilité de diffuser des livres de guerre. Un ami de tranchée de Verdun lui donnera la possibilité d’éditer des livres techniques de commerce, de comptabilité et de calcul. Un autre des publications de la Ligue Féminine Catholique. C’est ce qui fera vivre l’imprimerie jusqu’à la Libération en 1944.

Le 25 novembre 1950 le Conseil Municipal de la ville de Malakoff décide l’érection d’un monument aux morts des deux guerres. Un comité local est constitué sous la présidence du Maire Léon Salagnac. Gustave Durassié en devient l’un des trois Vice-Président . Il sera très actif pour le suivi de l’exécution du monument auprès du sculpteur Jean Joachin et la souscription publique. Le monument sera inauguré sur la place du 14 juillet le 6 novembre 1955.

Lors de ses obsèques le 13 mars 1986, le Gouverneur militaire des Invalides le Général de Galbert, lui rendra un vibrant hommage. Gustave Durassié, Commandeur de la Légion d’Honneur, repose au cimetière de Malakoff ou une plaque de marbre posée sur sa tombe le 11 novembre 1988 rappelle qu’il fut pour la ville et la mémoire combattante nationale un fidèle passeur de mémoire.

Sources : L’association « Ceux de Verdun », Le Souvenir Français, Archives Municipales, Photos : famille Durassié.

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REPUBLICAIN ET PACIFISTE
Lettre à mon fils Georges avant mon départ pour le feu à Verdun

Pendant sa convalescence à Angers après avoir été blessé en Belgique, et avant de repartir au combat dans la Marne en novembre 1914 puis dans les tranchées de Verdun, le soldat Gaston Audebert conscient du risque d’y laisser sa vie écrit une lettre à son fils Georges d’à peine un an. Conservée depuis un siècle, de génération en génération, par une famille de Malakoff, cette très longue lettre de 22 pages témoigne de l’état d’esprit et du comportement moral d’un instituteur républicain et pacifiste, conscient et clairvoyant. Il a eu la chance de revenir vivant de la Grande Guerre. Extraits.

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Pendant sa convalescence à Angers après avoir été blessé en Belgique, et avant de repartir au combat dans la Marne en novembre 1914 puis dans les tranchées de Verdun, le soldat Gaston Audebert conscient du risque d’y laisser sa vie écrit une lettre à son fils Georges d’à peine un an. Conservée depuis un siècle, de génération en génération, par une famille de Malakoff, cette très longue lettre de 22 pages témoigne de l’état d’esprit et du comportement moral d’un instituteur républicain et pacifiste, conscient et clairvoyant. Il a eu la chance de revenir vivant de la Grande Guerre. Extraits.

« Voici déjà plusieurs semaines que j’ai l’intention d’écrire ces quelques lignes. La guerre bat en ce moment son plein ; blessé au genou en Belgique, j’ai eu l’heureuse chance de rester à Angers, celle de pouvoir embrasser ta maman et de t’embrasser, et je suis à la veille de repartir au plus fort de la bataille. J’ai l’espoir de m’en tirer (peut-être blessé) car je voudrais bien, d’accord avec ta maman, te conduire à l’âge d’homme et avoir pour récompense celle de te voir à la tête d’une bonne situation et d’être fier de toi. Mais je puis aussi être tué et la mort brutale m’arracher du foyer. C’est pourquoi, à la veille de repartir au feu accomplir un devoir impérieux, je désire m’entretenir avec toi et te parler sérieusement. Ce seront les derniers conseils de ton père et je suis assuré que tu sauras en tenir compte.

A l’heure où j’écris ces lignes, tu es bien jeune, un tout petit enfant (10 mois et 13 jours exactement), tu ne te soucis que fort peu du reste de l’humanité, si ce n’est de ta bonne maman. Tu grandiras, dans 4 ou 5 ans, tu commenceras à savoir que ton papa est resté bien loin sur un champ de bataille, mais ta pensée ne s’arrêtera guère sur ce sujet. Quand tu iras à l’école, tu deviendras grave quand le maître te parlera de la guerre de 1914 et tu écouteras sérieusement ta maman, en deuil quand elle rappellera cette triste période. Puis, tu commenceras à comprendre, tu liras ces lignes dictées par l’affection que je te porte, tu les méditeras, tu en tireras des conseils que je te donne les enseignements qu’ils comportent. Conserve le précieusement en souvenir de moi et fais en ton profit...

Conduite à tenir dans la vie

Tout ce que je pourrais te dire tient dans ces quelques mots : Ecoute toujours ta maman, elle te conduira de façon sûr en sur le chemin droit du devoir et de l’honnêteté. Cependant mon petit Georges, je peux te donner quelques conseils qui devront, si tu les lis, des conseils d’outre-tombe de ton père que guide seulement en ce moment le désir de prévoir que tu te conduiras bien dans la vie. Sois bon écolier, tu appartiens à une famille d’instituteurs ; fais-lui honneur en contentant tes maÏtres, quels qu’ils soient, même si tu crois dans ton cerveau d’enfant ou d’adolescent, avoir à te plaindre d’eux.

Une solide instruction est nécessaire aujourd’hui pour être bien armé contre les difficultés de l’existence. Encore faut-il savoir s’en servir. Tu choisiras, suivant tes goûts, tes aptitudes, les conseils utiles de ta maman, la carrière, la profession que tu désireras. Dans la vie, il faut un but et il faut le poursuivre avec la volonté de réussir, tu devras donc chercher à exercer convenablement le profession choisie et ne pas rester médiocre. Que faut-il pour réussir ? Du travail, de la conduite et la volonté de réussir. Ce sont là les qualités essentielles. Naturellement, il faut avoir en vue son intérêt personnel mais ne jamais cependant départir d’une règle d’honnêteté de conduite.

Je m’explique : l’intérêt doit passer après le devoir, et ne jamais léser en quoi que ce soit les droits d’autrui. Rends service le plus possible aux autres, tu n’en seras peut-être que peu souvent récompensé, mais tu en éprouveras une satisfaction morale qui te servira de récompense. Il est de tradition, dans notre famille, de rendre service aux autres, j’espère que tu n’y failliras pas.

Je vais te parler maintenant de diverses questions qui me tiennent à coeur : métier d’instituteur, politique, religion... Mais je m’aperçois que je ne te parle pas de ta vie d’homme mûr. Tu te marieras, un célibataire ne produit pas ce qu’il doit vis-à-vis de la société, des bienfaits de laquelle il vit, il cherche généralement son intérêt, la satisfaction de ses appétits. Il faut se marier et fonder une famille, être un excellent mari, un bon père de famille, chercher le bonheur du foyer qu’on s’s’est créé. Je m en remets à ta maman pour te donner des conseils à ce sujet.

La profession d’instituteur 

Tu appartiens à une famille d’instituteur. Il faut pour être instituteur, avoir, je dirai la vocation. Pour cette profession comme pour tout autre métier, il faut l’aimer. On peut réussir aux examens, et n’être qu’un mauvais instituteur. Ceci, jamais. Ta maman te dira comment ton grand-père, comme moi, nous aimions notre profession d’instituteur, et si tu n’as pas la vocation, je le répète, ne sois pas instituteur. Mais rappelle-toi toujours que si tu es issu d’instituteurs, qui ont consacré leur vie à l’instruction et à l’éducation des enfants du peuple. Si tu désires être instituteur, je te dirai : sois un maître dévoué, aime tes élèves, car ce n’est qu’en les aimant qu’on est aimé par eux et qu’on en est compris. Donne-leur une solide instruction générale. Enseigne-leur les principes de notre morale laïque : agir suivant sa conscience, elle donne la notion exacte du devoir à remplir, aimer autrui (justice, charité).

Fais-en des républicains en prenant comme base, non pas l’opinion du moment, ni les influences politiques de l’époque, mais l’admirable Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, le droit à la vie pour tous, et l’interprétation intégrale de la devise républicaine. Qu’ils aient la notion exacte de leurs devoirs ; qu’ils se convainquent que le droit de chacun cesse où celui des autres commence. Fais l’enseignement de l’histoire, c’est la seule justification de la terrible lutte que nous faisons aujourd’hui. Si tu désire ne pas embrasser cette profession, applique toi-même et pour toi les principes que je viens d’exposer.

La religion

... Je résume à ce sujet : il n’est qu’une façon de bien se conduire, il n’est pas nécessaire de pratiquer une religion pour affronter le mort sans peur parce que sans reproche, être tolérant, mais exiger la tolérance chez les autres.

Voici pourquoi tante Renée n’a pas fait de communion, pourquoi ton oncle Marc et ta tante Charlotte, ton papa et ta maman se sont mariés civilement, pourquoi tes cousines et toi-même ne sont pas baptisés. Mais loin de moi est l’idée de t’empêcher d’adopter une religion de ton choix, ce sera à toi de juger quant tu seras assez mûr pour le décider, mais il est tant de religions, mon petit Georges, qui se déclarent toutes parfaites et se condamnent mutuellement, que la meilleure religion, je crois, est de ne point avoir. L’idée du devoir à remplir doit les remplacer avantageusement.

La politique 

Les passions politiques ont été et sont toujours très violentes, car la plupart des individus sont convaincus de l’excellence de leurs opinions.

La République est le seul gouvernement qui consente à donner au peuple la place qui lui est due, contrairement aux désirs de la bourgeoisie de grosse ou moyenne envergure, qui constitue une infime minorité comparée à la masse des travailleurs manuels et intellectuels de toutes catégories. L’homme du peuple ne peut être que républicain. Quelles sont les principes républicains : ils sont contenus dans l’admirable Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen qui consacre le droit à la liberté pour tous et à l’égalité devant la loi. Mais cela ne suffit pas : il faut élargir cette égalité et en arriver ; à la réalisation de la devise républicaine Liberté, Egalité, Fraternité ; à assurer le droit à la vie pour tous.

Le capitalisme et le travail 

Certains disent : il faut des gens qui possèdent pour donner du travail à ceux qui ne possèdent pas. C’est très discutable car la fortune vient généralement de l’héritage également discutable. Les enfants naissent le même jour, à la même heure, l’un pourra se payer le luxe de vivre sans travailler, l’autre devra peiner sa vie durant. Ce n’est pas juste, le droit à la vie n’est pas égal pour tous, il devrait l’être. Ce n’est pas dans notre société, les possédants imposent ou essaient d’imposer leur volonté aux travailleurs qu’ils réduisent par la peur de ne pouvoir assurer leur vie et celle de leur famille. Le capital ne supporte pas les charges qu’il devrait supporter légitimement ; il consacre des inégalités qu’il importe de réduire. C’est une grave question et de plus difficile à résoudre. Peut-on assurer à chacun le maximum de bonheur auquel il a droit ? Je ne crois pas, mais on peut faire beaucoup dans ce sens.

Le patriotisme de guerre

Nous assistons en ce moment à la lutte la plus terrible que le monde ait jamais connu. Comment a-t-elle éclaté ? L’Allemagne à-t-elle tous les torts ? Des Français ont-ils poussé à la guerre ? Eut-on pu conclure avec l’Allemagne des arrangements profitables à la prospérité économique et à la paix de l’Europe et du monde ? Après la guerre, le monde sera peut-être éclairé à ce sujet. En ce moment nous subissons la guerre. 

La seule justification de cette guerre est la lutte pour le droit, la guerre à la guerre, la guerre au militarisme prussien qui voudrait dominer l’Europe et le monde. La République Française ne pouvait laisser détruire les libertés chèrement acquises et les a défendues les armes à la main. Nombre de Français y voient la revanche de 1870, ont la haine de l’Allemand et voudraient la perpétuer. Il ne faut pas suivre dans cette voie.

Lorsque le peuple Allemand vaincu aura compris à quel abîme l’ont conduit ses dirigeants, lorsqu’il se sera libéré de la tutelle de ses nobles et de ses militaires, il ne faudra pas que les Républicains français hésitent à créer un courant de paix international, et comme le dit le grand Anatole France : « Tendre la main au peuple Allemand régénéré. Ecraser complètement l’Allemagne, c’est créer dans ce pays le désir de la revanche. Or la France ne pourra refaire le grand effort qu’elle vient de faire, les 500 000 morts (et je suis peut-être au dessous de la vérité) ne se remplaceront pas.

Une nouvelle guerre serait la fin de notre République qui a toujours été le champion du droit et de la liberté. Je ne le dirai pas, « Pour avoir la paix, prépare la guerre » mais « pour avoir la paix, prépare la paix » . La guerre est un fléau, et j’ose espérer que tu n’en connaîtras jamais les horreurs. Aies l’amour de ceux qui t’entourent, des libertés acquises, voilà le vrai patriotisme, mais pas la haine contre l’étranger, souhaites ardemment l’union de tous les peuples qui seule peut faire le bonheur des nations.

Conclusion

J’ai effleuré rapidement divers sujets. Si je dois succomber dans cette lutte sans merci, je veux que tu saches ce que je pense sur diverses questions. Tu les examineras, tu les jugeras en pleine conscience lorsque tu pourras le comprendre et tu tâcheras d’en tirer le meilleur parti possible.

Je résume ce que je t’ai dit : je veux que tu entoures toujours ta maman de respect et de l’affection auxquels elle a droit. Je désire que tu conserves le souvenir de ceux qui sont morts. Tu hériteras d’eaux un patrimoine d’honnêteté et de qualités spéciales qui valent un autre héritage. Travaille bien, d’abord à l’école et plus tard dans la vie. Rappelle-toi que l’on doit toujours faire son devoir et qu’il faut être bon quoiqu’il arrive ».

 

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LA TERRIBLE NOUVELLE
Lettres d’explications de la mort d’un fils au front

Plus d’un millier de foyers de Malakoff reçurent la terrible nouvelle, l’annonce d’un décès souvent par des camarades de combats, puis l’avis officiel de l’armée. Commençait alors pour la famille marquée par l’épreuve de l’absence du corps entraînant un deuil inachevé, la quête d’informations pour connaître les circonstances de la mort du soldat, s’il avait souffert et où se trouvait son cadavre. Des officiers ont du répondre à la demande de ces familles.

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Plus d’un millier de foyers de Malakoff reçurent la terrible nouvelle, l’annonce d’un décès souvent par des camarades de combats, puis l’avis officiel de l’armée. Commençait alors pour la famille marquée par l’épreuve de l’absence du corps entraînant un deuil inachevé, la quête d’informations pour connaître les circonstances de la mort du soldat, s’il avait souffert et où se trouvait son cadavre. Des officiers ont du répondre à la demande de ces familles.

Le courrier d’un mari, d’un fils, d’un frère...mobilisé et parti au front était pour les familles un signe de vie, le passage du facteur un moment crucial de la journée marqué par l’anxiété permanente d’être concernées par la mort d’un être cher sur les champs de bataille. Plus de mille familles de Malakoff furent concernées par la mort au combats d’un proche.

Connaissant les angoisses des familles, leurs attentes légitimes, les lettres des officiers tentaient d’atténuer leurs souffrances morales et psychologiques en leur adressant un éloge du défunt affirmant souvent qu’il n’avait pas souffert, où se trouvait son corps s’il avait été retrouvé, et surtout qu’il était mort en héros.

Ces lettres sont toujours conservées par les familles et entretiennent la mémoire familiale. Voici deux exemples de ces lettres qui furent publiées en novembre 1915 dans l’hebdomadaire Vanves-Malakoff. Elles concernent le Maréchal des Logis Gabriel Mouny, 29 ans, né à Clamart, fils du chef de bureau de l’Etat Civil à la Mairie de Malakoff, tué le 14 mai 1915 à Cambrin dans le Pas-de-Calais, puis celle concernant le Maréchal des Logis Eugène-Marie Laroche, 21 ans, né à Malakoff, fils d’un maraîcher de l’avenue Gambetta à Malakoff, tué à Villers-Chatel dans le Pas-de-Calais.

"Vous pouvez être fier de votre fils"

« Monsieur. Pendant la guerre que nous faisons, chacun doit s’attendre à recevoir de pénibles nouvelles de ceux qui sont sur le front. Je remplis aujourd’hui le plus triste des devoirs qui incombent à un commandant d’unité. Votre fils Gabriel Mouny, a trouvé une mort glorieuse le jeudi 13 mai à huit heures du soir, tué à son poste d’observation dans la tranchée de première ligne à 30 mètres de l’ennemi, par l’éboulement produit par l’explosion d’une mine. Aussitôt prévenu, je me suis porté avec mes hommes au lieu de l’explosion, mais nous n’avons pu trouver que son cadavre. Et nous l’avons enterré le surlendemain, aussi bien que l’ont permis les circonstances, à deux heures de l’après-midi. Il repose au cimetière de Cambrin (Pas-de-Calais) dans un cercueil d’orme.

Sa tombe, ornée de deux couronnes et d’une bordure en buis est marquée d’une croix portant son nom et la date de sa mort. Un prêtre lui a rendu les devoirs religieux.

J’ai appris que vous désirez connaître les détails des circonstances dans lesquelles votre fils a été tué. C’est bien simple. Il était dans l’abri, où se trouvait le poste téléphonique, quand l’explosion de la mine a détruit l’abri, en même temps qu’elle ramenait sur lui une masse énorme de terre. Je ne vous cache pas, Monsieur, que cette mort m’a fait beaucoup de peine. Mouny, vous le savez peut-être par ses lettres, était pour moi non seulement un auxiliaire précieux et dévoué, mais un excellent ami. Son courage, son entrain, son autorité sur ses hommes, sa bonne humeur, son habileté d’artilleur, me permettaient de pouvoir compter sur lui pour tout ce qui concernait le service, et pendant le repos de trouver un bon camarade. Ses qualités avaient été d’ailleurs remarquées par tous les officiers que nous voyons dans les tranchées et souvent ils me félicitaient d’avoir un si bon sous-officier.

Le colonel commandant la brigade, lui-même, l’avait distingué et à plusieurs reprises, m’avait fait des compliments sur lui, si bien qu’en apprenant la triste nouvelle, il m’a spontanément proposé de le citer à l’ordre de la brigade d’infanterie, ce dont j’ai été très heureux.

Puisse la juste fierté que vous procure cet honneur si mérité rendu à sa mémoire, atténuer un peu votre douleur. Le pauvre ami n’aura pas eu le bonheur de voir la France débarrassée de l’Allemand. Il est tué au moment où nous commençons à frapper le grand coup, mais grâce à lui, en grande partie, je crois que depuis quatre mois, ma section a fait à l’ennemi à peu près autant de mal qu’elle peut en faire. Vous pouvez, Monsieur, être fier de votre fils.

Veuillez recevoir, Monsieur, l’expression de ma très grande sympathie et de mes plus vives condoléances ».

Commandant d’unité H. Dabadie

"Il a fait tout son devoir, en brave Français"

« Monsieur. J’ai le pénible devoir de vous faire part du décès de votre pauvre fils, mort des suites d’une blessure reçue glorieusement le 10 mai. Il avait été chargé de la pose avec ses hommes, des nouvelles lignes téléphoniques à établir après notre avance du 9 ; sans souci du danger, en brave qu’il était, il paya lui-même de sa personne et étant à découvert, il a reçu un éclat d’obus dans le ventre.

On le fit transporter immédiatement par ambulance automobile à l’ambulance de Villers-Chatel et malgré tous les soins qui lui furent donnés, il est mort le 13 mai, à une heure du matin. Il a été enterré au cimetière de Villers-Chatel ; sur sa tombe on a mis une croix et ses camarades ont placé une couronne.

C’est pour nous tous une perte cruelle, il était aimé de tous ses hommes et de ses camarades et toute la batterie très peinée prend une large part à votre douleur. J’ai demandé pour lui à notre colonel une citation à l’ordre, j’espère qu’elle me sera accordée (NDR, obtenue le 2 juin).

Que dans l’immense chagrin que vous fait éprouver la perté d’un fils bien aimé, il vous reste la consolation de savoir qu’il a fait tout son devoir, en brave Français qu’il était.

Veuillez agréer, Monsieur, avec mes sentiments douloureux, l’assurance de ma considération distinguée ».

Capitaine Lefèvre

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MEMOIRES FAMILIALES 14/18
"En souvenir de mon arrière grand-père, combattant à Verdun"

Sylvain Lahure, Malakoffiot, petit fils de poilu vit à sa façon le devoir de mémoire en parcourant régulièrement la zone rouge de Verdun, celle qui n’a jamais été nettoyée, là où son arrière grand-père maternel à combattu en 14/18. Ce qu’il trouve est désormais archivé, classé et protégé pour l’histoire et pour faire comprendre ce qui s’est passé.

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Sylvain Lahure, Malakoffiot, petit fils de poilu vit à sa façon le devoir de mémoire en parcourant régulièrement la zone rouge de Verdun, celle qui n’a jamais été nettoyée, là où son arrière grand-père maternel à combattu en 14/18. Ce qu’il trouve est désormais archivé, classé et protégé pour l’histoire et pour faire comprendre ce qui s’est passé.

« Ce n’est pas la guerre de 14-18 qui me passionne mais les hommes et les femmes qui ont vécu cette période, et les lieux de combat.(1) Je pense, par exemple, à Verdun où mon arrière-grand-père maternel a servi. A la fin des années 80, j’avais étudié cette période à l’école primaire. Mon arrière-grand-père était encore vivant et je lui avais posé des questions. Le visage fermé, la larme à l’oeil, il m’avait répondu : « Je ne veux pas que tu connaisses ça ». Il m’a raconté peu de choses qu’il avait vécues.

C’est à ce moment là que j’ai commencé à m’intéresser et à me documenter. Depuis trois ans, je me rends sur place pour voir où se sont passés les combats. Je cherche à comprendre ce qu’à pu vivre mon arrière-grand-père et plus largement ce qui s’est passé.

Je vais avec un ami dans la zone rouge, celle qui n’a pas été nettoyée et qui ne le sera jamais. Il y a tellement de choses à voir. Tout a été abandonné là-bas : les Français ont tout balancé par terre, les Allemands ont enterré. Sur place, on a une petite idée de l’atmosphère : on voit encore les trous, des obus, des grenades, des os, des impacts de balle sur ce qui servait d’abris de fortune, des fusils Mauser allemands, des cartouches, des baïonnettes, des bouteilles, les boyaux pour aller en première ligne, etc. On peut se projeter la situation réelle telle qu’elle l’était : les lignes de combat, le no man’s land...

On ressort affecté de cette expérience. Quand je prends un éclat d’obus dans les mains, je me dis : « Waouh ! La force et la vitesse à laquelle l’obus pouvait arriver ! Il n’y avait pas de pitié, c’était pour faire mal : briser les chairs et les os. » Ma démarche personnelle est devenue historique avec le temps. J’ai découvert là-bas le terme « Camp des représailles ». Situé à Flabas,(2) ce camp a accueilli 500 prisonniers français entassés dans un rectangle de 50 mètres de long sur 30 mètres de large. Ils étaient quasiment en première ligne, c’était l’horreur. On n’en parle pas beaucoup mais ça prend les tripes. Je pense aussi au supplice du poteau qu’ont dû endurer de nombreux soldats.

Sur place, on ne fouille pas, on ramasse juste les objets à vue. Je ne les vends pas mais je les donne à des passionnés par respect pour ceux qui se sont battus là-bas. Je ne garde rien, je préfère que ça soit visible au plus grand nombre.

Il ne s’agit pas d’une démarche d’historien mais de citoyen. Je veux rendre hommage. Je souhaite faire passer un message au-delà du 11-Novembre pour faire comprendre ce qui s’est passé.

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(1) Témoignage de Sylvain Lahure, 38 ans, Malakoffiot, arrière-petit-fils de poilu

(2) Camps de Flabas : en contradiction avec les conventions qui interdisaient de faire travailler des prisonniers de guerre à moins de 30 km du front, les Français employaient des prisonniers allemands pour travailler sur la Voie Sacrée, l’Allemagne créa le Camp des Représailles de Flabas, situé à 4 kms des lignes de combat et fit appliquer les mêmes conditions aux prisonniers français. 200 prisonniers y trouvèrent la mort.

 

(3) Témoignage recueilli par Stéphane Laforge dans le cadre de l’exposition « Mémoires de poilus » organisée par la Commission municipale « Mémoire et patrimoine » en novembre 2014 avec le concours du Service communication de la Mairie de Malakoff. Travail coordonné par Cécile Lousse et Florence Giacomelli.

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MEMOIRES FAMILIALES 14/18
"Ces objets qui font remonter les souvenirs de la guerre"

Michel Foucher à l’occasion de décès dans sa famille a récupéré des objets de la Grande Guerre faisant ainsi remonter dans la mémoire collective ce conflit dont on ne parlait pas beaucoup en famille. La conservation de ces objets rappellent le souvenir de personnes disparus et parlent d’une catastrophe humaine.

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Michel Foucher à l’occasion de décès dans sa famille a récupéré des objets de la Grande Guerre faisant ainsi remonter dans la mémoire collective ce conflit dont on ne parlait pas beaucoup en famille. La conservation de ces objets rappellent le souvenir de personnes disparus et parlent d’une catastrophe humaine.

« J’ai récupéré divers objets ayant appartenu à Joseph Chauvin, grand-père paternel de ma femme, et de mon grand-père paternel, Emile Foucher.(1) Né le 9 décembre 1875, Joseph Chauvin est décédé le 5 février 1915 dans la Marne. Il avait 40 ans et a laissé une veuve et deux enfants de 7 et 9 ans.

Je n’ai pas connu mon grand-père paternel, mort de maladie mais pas à la guerre. L’encrier, les deux cadres de photos et une collection de vieux livres étaient chez ma grand-mère. Je les ai récupérés à son décès. Il a fallu ces objets pour que la guerre remonte à la surface. C’est un sujet que l’on n’abordait pas dans la famille. On en parlait davantage dans ma belle-famille. Ses objets étaient en vue chez ma grand-mère, il y avait des photos de famille dans les cadres. J’étais gosse, je ne posais pas de questions et je ne me plongeais pas dans les souvenirs. Ensuite, la Seconde guerre mondiale a rajouté d’autres souvenirs qui ont peut-être effacé avec le temps ceux de la Première Guerre mondiale.

Je tiens à ces objets car ce sont des souvenirs. Ma grand-mère y était attachée. Je témoigne aussi de mon attachement et de mon respect envers les anciens. J’aime ces souvenirs car j’ai toujours été passionné par l’histoire. Quand j’étais gosse, je lisais sans cesse les bouquins que mon grand-père avait achetés. Ils étaient toujours à la gloire de la France, c’était amusant. Grâce aux livres, je me suis enrichi. La guerre de 14-18 a été concrète pour moi car j’avais cette histoire dans les mains. Cette reconstitution écrite me parlait plus que les objets, car ceux qui ont fait la guerre n’ont pas pu me la raconter. C’est un regret de ne pas avoir reçu de témoignage.

Ces objets que je conserve précieusement sont beaux. Ils sont drôlement bien faits surtout que les soldats devaient avoir peu de moyens. Je suis admiratif des douilles sculptées et du travail réalisé en relief. Ces objets me rappellent des souvenirs de personnes qui n’ont pas profité de la vie. La guerre de 14-18 a été une catastrophe humaine.

Il y a aussi beaucoup de questions derrière ces objets mais pas de réponses. Je ne comprenais pas pourquoi il était écrit Macédoine, Salonique. J’ai cherché et j’ai vu qu’il y avait eu des batailles là-bas. Je ne sais pas si c’est mon grand-père qui a fait ces cadres. Il y a beaucoup d’interrogations. Je sais que mon grand-père était assez méticuleux, il aimait les livres, la chasse. Avec ma grand-mère, ils ont habité Malakoff puis la Sarthe. Mon père n’en parlait pas trop. Pour moi ces objets sont des souvenirs de personnes disparues... ».

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(1) Témoignage de Michel Foucher, Malakoffiot né en 1935

(2) Témoignage recueilli par Stéphane Laforge dans le cadre de l’exposition « Mémoires de poilus » organisée par la Commission municipale « Mémoire et patrimoine » en novembre 2014 avec le concours du Service communication de la Mairie de Malakoff. Travail coordonné par Cécile Lousse et Florence Giacomelli.

 

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« Mes grands pères ont fait la Campagne d’Orient »

Les deux grands pères de Hervé Meraville ont participé à la Campagne d’Orient (1915-1918) qui fut elle aussi terrible pour les soldats et pour les populations. Des années d’une vie qui ne leur appartenait plus. L’absence de transmission directe a été un vrai regret pour comprendre ce qu’il ont vécu.

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Les deux grands pères de Hervé Meraville ont participé à la Campagne d’Orient (1915-1918) qui fut elle aussi terrible pour les soldats et pour les populations. Des années d’une vie qui ne leur appartenait plus. L’absence de transmission directe a été un vrai regret pour comprendre ce qu’il ont vécu.

« J’ai connu mes deux grands pères, mais j’étais encore jeune quand mon grand-père maternel est décédé. Ce que je sais sur sa participation à la guerre, je le tiens de ma mère même s’il lui en a finalement peu parlé. Plus que les explosions d’obus, le plus dur pour lui était de supporter la boue dans les tranchées.

Mon grand-père a été mobilisé de 1914 à 1919 : il est allé au front et a pris part à la campagne d’Orient. Il était plus bavard sur les pays traversés lors de la campagne d’Orient (2). Il évoquait les populations démunies de Bulgarie ou de Roumanie qui suivaient les soldats pour avoir de quoi manger. Il n’y avait plus de cheveux sur une partie de son crane suite à une blessure causée par un obus. J’ai le souvenir de l’avoir entendu loué et encensé Clémenceau, le "Tigre", qui était pour lui le grand homme de la Première Guerre mondiale. Il lui vouait une grande admiration.J’ai davantage parlé de la guerre avec mon grand-père paternel. Il avait souvent été envoyé au front : fait prisonnier en 1914, libéré en 1917, il a ensuite réalisé la campagne d’Orient. Suite à une blessure, il lui manquait un doigt. C’est en tout cas ce qu’il m’avait dit. J’ai appris ensuite par un de ses voisins qu’il avait travaillé dans une mine de sel lorsqu’il était prisonnier en Allemagne. Pour quitter cet endroit et ces rudes conditions de vie, il s’était volontairement mutilé un doigt en le laissant entre deux wagons.

Il ne parlait pas trop de la guerre ni des combats mais des pays qu’il avait traversés. Il parlait surtout de la pauvreté qu’il y avait vue. La guerre a été pour lui une ouverture sur le monde : elle lui a permis de voir du pays sinon il n’aurait pas quitté la France. Il m’a raconté une anecdote lorsqu’il était prisonnier en compagnie de soldats russes. Ceux-ci demandaient aux soldats africains de l’armée française de remonter leurs manches ou leurs bas de pantalon pour voir s’ils étaient noirs sur tout le corps.

Quand j’ai eu une vingtaine d’années, j’ai réalisé un tour d’Europe. Il avait été heureux de discuter avec moi des pays qu’il avait vus. Il avait gardé des habitudes de cette époque, il buvait son café à la Turque. Je me souviens d’ailleurs qu’il y avait autant de grains que de jus !

Mon grand-père maternel a tenu un carnet durant la guerre. Ma mère me l’a souvent montré, elle le garde précieusement. J’ai retrouvé la carte et le texte dans la maison de mon grand-père paternel ainsi que des photos de son camp de prisonniers. Ces différents documents me font un peu toucher du doigt ce qu’a été leur vie à ce moment là pendant un long moment. Ils ont passé cinq années de leur jeunesse à la guerre. Cinq années d’une vie qui ne leur appartenait pas. En dépit des documents, cela me semble lointain. C’est l’histoire de ma famille, une chose qui m’intéresse, mais je ne ressens pas cet affect comme ce que j’ai pu apprendre de mes parents lors de la Seconde Guerre mondiale. Il n’y a pas eu de transmission directe, de témoignage oral. Il n’y a pas d’affect car ce sont des documents. C’est sans doute mon principal regret... ».

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(1) Hervé Meraville, Malakoffiot, petit-fils d’Edmond Château, grand-père maternel (1887-1962) et de Roger Meraville, grand-père paternel (1896-1987).


 (2) Campagne d’Orient : Loin d’avoir été une expédition exotique les soldats engagés dans le Front d’Orient ont connu des souffrances terribles, les maladies et le climat défavorable, s’ajoutant aux combats intensifs. La cessation des hostilités avec la Bulgarie puis la Turquie précipiteront les armistices avec l’Autriche-Hongrie puis celle de l’Allemagne. De cette guerre lointaine on se rappelle notamment la bataille des Dardanelles.


(3) Témoignage recueilli par Stéphane Laforge dans le cadre de l’exposition « Mémoires de poilus » organisée par la Commission municipale « Mémoire et patrimoine » en novembre 2014 avec le concours du Service communication de la Mairie de Malakoff. Travail coordonné par Cécile Lousse et Florence Giacomelli.

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"Pour mon grand-père il était nécessaire d’en parler"

Le grand-père de Simone Goffard, clairon pour sonner l’alerte au gaz moutarde évoquait librement et fréquemment son quotidien dans les tranchées, les gueules cassées, la boue, la faim, la disparition des copains, mais aussi la solidarité qui existait entre les soldats. Et par la suite à sa famille la transmission de l’amour de la Patrie, la tolérance et le devoir de mémoire.

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Le grand-père de Simone Goffard, clairon pour sonner l’alerte au gaz moutarde évoquait librement et fréquemment son quotidien dans les tranchées, les gueules cassées, la boue, la faim, la disparition des copains, mais aussi la solidarité qui existait entre les soldats. Et par la suite à sa famille la transmission de l’amour de la Patrie, la tolérance et le devoir de mémoire.

« Mon grand-père paternel (1) a été incorporé en 1914, il a participé à toutes les campagnes : Verdun, Douaumont, le Chemin des Dames.... Il était clairon, chargé de sonner l’alerte quand les ennemis allaient gazer. Il me parlait de ce qu’il avait vécu : la solidarité qui existait entre les soldats, les gueules cassées, la boue, ne pas allumer deux cigarettes de suite pour éviter d’être une cible pour les Allemands car les tranchées étaient très rapprochées.

Il évoquait son quotidien à la guerre, ses amis morts. Il avait défendu son pays comme son père, mort en 1870, l’avait fait avant lui. Je ne sais pas si mon grand-père avait été traumatisé par la guerre. Il me parlait librement des choses qu’il avait pu voir. Il était malheureux mais pas triste. Ses camarades étaient morts dans les tranchées, il n’avait plus de copains de cette époque-là, ni de son régiment.

A son retour, il n’a pas pu reprendre son travail car il avait respiré trop de gaz. Il devait d’ailleurs vivre six mois de l’année à la campagne. Pour lui, il était nécessaire d’en parler : « Les gueules cassées, on leur a brisé toute leur vie ! », disait-il. Mon grand-père me parlait souvent de 14-18. Il me disait : « Les hommes politiques nous ont menés là, il faut que tu écoutes et réfléchisses car ils recommenceront. » Et il avait raison. « On était dans les tranchées, on ne mangeait pas, des copains perdaient une jambe, n’y voyaient plus clair, et pendant ce temps d’autres étaient dans les cafésTu trouves que c’était juste ?! ».

J’étais sa seule petite-fille. « Quand je serai mort, donne tout ce qui concerne la guerre à Simone », avait-il demandé à ma grand-mère. Mon grand-père m’a transmis l’amour de mon pays et une qualité : savoir respecter les plus pauvres et ne jamais dédaigné le travail d’en bas. Il m’a aussi communiqué un message de tolérance. Il a surtout mal supporté que les hommes s’agressent entre eux. Pour lui, la tolérance, c’était se comprendre, pas s’agresser. C’était un homme adorable, il m’emmenait me promener dans la campagne, m’apprenait les plantes et me montrait des images dans le magazine L’Illustration. C’était merveilleux pour moi.

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(1)Témoignage de Simone Goffard, petite-fille de Victor Montet, soldat de la première Guerre mondiale, mort en 1940

(2) Témoignage recueilli par Stéphane Laforge dans le cadre de l’exposition « Mémoires de poilus » organisée par la Commission municipale « Mémoire et patrimoine » en novembre 2014 avec le concours du Service communication de la Mairie de Malakoff. Travail coordonné par Cécile Lousse et Florence Giacomelli.

 

 

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« Dans ma famille on disait il est mort jeune »

La conservation des lettres du grand-père de Claude Pichard depuis trois générations est un acte du devoir de mémoire. Depuis une dizaine d’années, il se rend chaque année à l’Ossuaire de Douaumont. Dans la famille, une guerre par génération pour rien.

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La conservation des lettres du grand-père de Claude Pichard depuis trois générations est un acte du devoir de mémoire. Depuis une dizaine d’années, il se rend chaque année à l’Ossuaire de Douaumont. Dans la famille, une guerre par génération pour rien.

« Je suis vraiment très attaché aux lettres de mon grand-père qui ont d’abord été conservées par ma grand-mère, puis ma mère. Aujourd’hui, c’est moi qui les ai. Je pense qu’il ne faut pas oublier. Ma grand-mère parlait peu de la guerre. En 1949, j’avais 11 ans et à l’époque je ne m’en souciais pas vraiment. Mon grand-père a été incorporé dès 1914 au 267e régiment d’infanterie. Il était soldat réserviste en charge de la manutention, puis il a été envoyé à Verdun en 1916. Ces documents sont pour moi une manière d’en savoir plus. Cela concerne la vie de ma famille et j’y suis attachée.

Dans ma famille on disait : « Il est mort jeune ». C’était un sujet dont on ne parlait pas mais les lettres ont été gardées. Ca reste un souvenir. J’ai découvert ces lettres quand ma mère est décédée. J’en ai pris connaissance avec peine et résignation. Dans ma famille, il y a eu une guerre par génération pour aboutir à rien : mon grand-père a fait 14-18 ; mon père la seconde guerre mondiale et moi l’Algérie pendant 28 mois.

Je suis allé à Verdun avec mes parents après ma première communion. Ma mère avait droit à un billet annuel de train pour s’y rendre, mais elle n’y est allée qu’une fois dans les années 50. Depuis une dizaine d’années, je m’y rends chaque année. Je ne m’explique pas les raisons de ces voyages. Après la lecture des lettres je me suis dit : « C’est quelque chose qu’on lui doit. » En 1919, ma grand-mère a dû faire les démarches pour avoir les informations sur le lieu où était enterré son mari. J’ai fait les démarches pour inscrire son nom à l’Ossuaire de Douaumont (2). J’ai été interloqué de voir tous les noms de soldats dans l’ossuaire.

Avec ma femme, à chacune de nos visites à Verdun, nous sommes frappés par le paysage. C’est fou ! Comment pouvaient-ils vivre... La guerre n’est jamais propre mais là, ça dépassait tout. Ma démarche est une démarche de gratitude et de reconnaissance.

J’ai deux filles. Elles sont au courant de ce que nous faisons comme nos sept petits-enfants. On leur en parle sans en faire une fixette. On leur explique que mon grand-père a souffert. Il s’agit de se souvenir et de respecter les souffrances qu’il a endurées. Je veux aussi leur faire ressentir que chaque génération a pris part à une guerre : mon grand-père, mon père et moi".

(1) Témoignage de Claude Pichard , Malakoffiot, qui conserve précieusement de nombreuses lettres de son grand-père en provenance du front.

(2) L’ossuaire de Douaumont est une nécropole nationale  située sur le territoire de la commune française de Fleury-devant-Douaumont, en Lorraine. Le monument fut conçu après la bataille de Verdun. Il abrite un cloître long de près de 137 mètres avec des tombeaux  pour environ 130 000 soldats  inconnus, allemands et français, indéfectiblement entremêlés. En face de l’ossuaire se trouve un immense cimetière composé de 16 142 tombes  individuelles de soldats français, dont un carré pour 592 soldats musulmans de l’Empire colonial.

(3) Témoignage recueilli par Stéphane Laforge dans le cadre de l’exposition « Mémoires de poilus » organisée par la Commission municipale « Mémoire et patrimoine » en novembre 2014 avec le concours du Service communication de la Mairie de Malakoff. Travail coordonné par Cécile Lousse et Florence Giacomelli.

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"Mon père nettoyeur des tranchées"

Emile Narmois, mobilisé à 32 ans, de 1914 à 1919, a connu la dure expérience des unités spécialisées dans le nettoyage des tranchées. Hélène sa fille raconte quelques souvenirs évoqués par son père...pour garder une trace de cette terrible période.

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Emile Narmois, mobilisé à 32 ans, de 1914 à 1919, a connu la dure expérience des unités spécialisées dans le nettoyage des tranchées. Hélène sa fille raconte quelques souvenirs évoqués par son père...pour garder une trace de cette terrible période.

« Mes parents se sont mariés en 1910. Papa était menuisier puis imprimeur. Mon père (1) a été mobilisé durant la première guerre mondiale au cours de laquelle il a reçu un éclat d’obus dans la cuisse. Lorsqu’il a appris la fin de la guerre, il était avec d’autres soldats à côté d’un champ de mines d’où ils se sont sauvés en vitesse.

Tous avaient un mépris de la mort, ils avaient appris à vivre avec elle. Ma soeur et moi avons été bercées dans notre enfance et adolescence par les récits de notre père. Il nous en parlait souvent, simplement, librement, lorsque nous étions à table. C’était quelqu’un de très gai. Il chantait, surtout des airs d’opérette, jouait de la mandoline. Même quand il nous parlait de ce qu’il avait vécu, il n’était pas triste.

Il nous racontait souvent l’histoire de ce jeune soldat français coincé entre deux tranchées et ne pouvant être secouru. Celui-ci avait appelé sa mère toute la nuit, mais au matin, ils ne l’entendaient plus... Mon père était nettoyeur de tranchées. Nous étions petites et nous pensions naïvement avec ma soeur qu’il était chargé du ménage ! (2)

Quand mon père arrivait en permission dans le 14e arrondissement de Paris où ma mère vivait avec sa famille, ma grand-mère s’empressait de mettre sur le palier une grande bassine en zinc remplie d’eau. Là, il se déshabillait et y mettait capote, pantalon et chemise pour noyer la vermine, et il rentrait précipitamment dans le logement.

Un jour, sa permission terminée, mon père avec tout son barda sur le dos est arrivé à la gare de l’est pour prendre un train du soir. Il aperçoit un sergent de ville (policier/gendarme) et hésite à faire demi-tour car il n’était pas en règle. En effet, il était resté auprès de ma mère qui avait attrapé la grippe espagnole afin d’avoir l’avis du médecin. Son départ, qui devait avoir lieu le matin, avait donc été retardé. Comptant sur l’indulgence et la compréhension du sergent de ville, il n’a pas fait demi-tour mais a été arrêté et conduit au commissariat malgré ses protestations. Il voulait prendre son train car il savait qu’un copain attendait avec impatience son retour pour pouvoir partir à son tour en "perm".

Il a été mis en cellule, on lui a retiré sa ceinture, les lacets de ses brodequins, sa montre et tous ses papiers. Il y a passé la nuit et n’a été relâché, très humilié, que le lendemain matin. Au retour il n’a pas eu de punition car le combat l’attendait et chaque homme comptait mais il a eu la haine contre ce flic. Ce "planqué" comme il l’appelait. Je crois qu’il avait encore de la haine des années plus tard lorsqu’il nous racontait cette histoire.

Cette période de l’histoire m’intéresse, je lis beaucoup d’ouvrages sur ce sujet. Cela me fait repenser à ce que nous racontait notre père. Il nous a transmis beaucoup de choses, je souhaite à mon tour les transmettre à mes proches (3). J’en parle à mes enfants qui sont attentifs à l’histoire de la famille. J’ai aussi écrit ce que m’a raconté mon père pour garder une trace.... »

Madame Hélène Bouloy à l’exposition "Mémoires de Poilus" à l’Hôtel de Ville de Malakoff en 2014

(1) Témoignage de madame Hélène Bouloy, Malakofiotte, fille d’Emile Marnois (1882-1952), mobilisé en 1914 au sein du 80erégiment d’infanterie jusqu’en 1919.

(2) Nettoyeur de tranchées : des unités spécialisées avaient pour mission la mise hors d’état de nuire des ennemis restés dans les tranchées en deçà de la progression des troupes d’assaut. Cette mission était très importante puisqu’elle consistait à s’assurer qu’on ne laissait pas d’ennemis dans son dos. Ces opérations se faisaient le plus souvent à l’arme de poing, à la grenade ou plus rarement au couteau.

(3) Témoignage recueilli dans le cadre de l’exposition « Mémoires de poilus » organisée par la Commission municipale « Mémoire et patrimoine » en novembre 2014 avec le concours du Service communication de la Mairie de Malakoff. Travail coordonné par Cécile Lousse.

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Retour à l’envoyeur de la lettre au mort pour la France

Même avec le temps, la lecture d’une lettre écrite en 1914, de la mère à son fils parti à la guerre au 4e Corps de zouaves de marche, reste toujours un moment d’émotion car ce témoignage fait désormais partie de l’histoire familiale. Pour Paulette Canto, une trace qu’il ne faut pas perdre.

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Même avec le temps, la lecture d’une lettre écrite en 1914, de la mère à son fils parti à la guerre au 4e Corps de zouaves de marche, reste toujours un moment d’émotion car ce témoignage fait désormais partie de l’histoire familiale. Pour Paulette Canto, une trace qu’il ne faut pas perdre.

« Je n’ai pas connu mon oncle, on parlait rarement de lui (1). Mon père nous en parlait un peu de temps en temps car il avait été beaucoup pleuré dans la famille. Mon père était de six ans son cadet. C’est lui qui a récupéré une des lettres que ma grand-mère lui avait envoyée et qui me l’a donnée ensuite. Le corps de mon oncle n’a pas été retrouvé. J’ai fait des recherches de tombe mais sans succès. J’ai récupéré une photo on le voit en tenue de zouave de marche.

La lecture de cette lettre m’a causé du chagrin. Dans la lettre de ma grand-mère, on sent beaucoup de désespoir et d’inquiétude car elle était sans nouvelles de son fils. Cette lettre, datée du 29 novembre 1914, lui a été retournée car mon oncle était mort au combat. 

Il était le premier des cinq enfants de ma grand-mère paternel. Elle était écrivain public en Algérie et à la tête d’une famille nombreuse. Elle a eu cinq enfants : Jean, Paul, Baptistine, Alice et Laurent. Ma grand-mère s’appelait Rosa Charlotte Canto. Je garde cette lettre et cette photo car, même s’ils sont douloureux, ce sont des souvenirs, une partie de mon histoire familiale. Je n’ai pas connu ma grand-mère, elle est morte en 1925 (née en 1874). J’ai deux filles et trois petits-enfants. J’ai fait un livre avec tous les renseignements sur la famille. C’est pour eux que je garde ces documents et que je fais ce travail de mémoire. J’ai peu de traces mais celles qui restent il ne faut pas les perdre. C’est un témoignage que je réalise pour ma famille... »

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(1) Témoignage de Paulette Canto, Malakoffiote, nièce de Jean Canto, 2e classe du 4e Corps de zouaves de marche, disparu et déclaré mort pour la France le 11 novembre 1914 à Veldoeck (Belgique). Né le 24 janvier 1893 à Alger. Le 4ème Zouaves faisait parti de la 38ème Division d’Infanterie et appartenait à l’Armée d’Afrique. Il a participé aux batailles de Charleroi ( 21-23 août 1914 ), de la Marne ( 9-13 sept 14 ) et des Flandres.

(2) Témoignage recueilli par Stéphane Laforge dans le cadre de l’exposition « Mémoires de poilus » organisée par la Commission municipale « Mémoire et patrimoine » en novembre 2014 avec le concours du Service communication de la Mairie de Malakoff. Travail coordonné par Cécile Lousse et Florence Giacomelli.

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